Georg Friedrich Händel (1685 - 1759) 


Ses Opéras

 

Agrippina  

Alcina HWV 34

Ariodante HWV 33

Deidamia HWV 42

Ezio HWV 29

Floridante HWV 14

Giulio Cesare HWV 17

Partenope

Poro, dell’Indie HWV 28

Riccardo Primo HWV 23

Rinaldo

Rodrigo HWV 5

Serse HWV 40

Scipione

 

 

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1) Agrippina

 

L'un des premiers grands ouvrages que le maestro ait composé, dans le pur style vénitien, avec une intrigue alambiquée au possible et pas moins de neuf protagonistes ! Nombre des airs ici préfigurent ceux qui suivront, et comme à l'accoutumée du Caro Sassone, certains même se retrouveront tels quels une bonne vingtaine d'années plus tard dans d'autres opéras.

 

 

i) J. E. Gardiner Alastair Miles (b) Della Jones (ms)

D. Lee Ragin (ct) Donna Brown (s)

Michael Chance (ct) George Mosley (b)

J. Peter Kenny (ct) Julian Clarkson (b)

Anne Sofie Von Otter (ms)

 

English Baroque Soloists

 

On sait que Gardiner aime Händel, mais Händel aime-t-il Gardiner ? La question, mine de rien, appelle discussion. Car si certaines réalisations du chef anglais sont plutôt de belles réussites (Solomon, L'Allegro ..., Saul) d'autres nous laissent sur notre faim (Water Music, Music for The Royal Fireworks, Tamerlano, Israël in Egypt), et toutes ne sont pas exemptes de griefs notables, le " pire " de tous restant Gardiner lui-même (ce qui n'est pas le moindre). Car, semble-t-il, ce cher John est atteint de Karajanite aigu : une tendance certaine à plus rechercher le beau son que le drame. Heureusement Karajan, comme Gardiner, avait des périodes de rémissions ...

Je ne critique pas, je constate simplement : tous les enregistrements de Gardiner sont d'une beauté sonore magnifique, d'une qualité exemplaire, et si on excepte les quelques égarements en matière de choix de solistes que le chef a put commettre : tous sont merveilleusement chantés. Malheureusement il y en a peu qui nous enflamment spontanément. Et cette Agrippine, si parfaite vocalement, si gracieuse d'un point de vue instrumental, n'est pas celle qui nous mettra le feu aux poudres ...

Della Jones est parfaite dans un rôle où on ne l'attendait guère, comme à son habitude de peu de moyens elle fait toute une montagne, un régal. Sa " rivale ", Donna Brown s'en tire également avec tous les honneurs. Côté masculin nous avons l'insignifiant : Peter Kenny (joli, mais pas plus), Clarkson (accessoire), Mosley (baritonnant), le mastodonte : Miles (qui en fait des tonnes et pas toujours avec bonheur, mais quelle voix !) le simplet : Chance (toujours autant éthéré et soporifique) et enfin le " bizarre " : à savoir un Derek Lee Ragin dans un rôle de soprano, fusillé par sans doute bon nombre de critiques qui lui trouveront des aigus étriqués, une ligne pas toujours très stable, mais qui passeront à côté de l'essentiel : sa performance. Car mazette il en fallait du culot ( et des moyens aussi) pour réussir à réaliser ce tour de force, oublions donc que le rôle est trop aigu pour lui et apprécions sa prestation qui ne laisse en fait guère à désirer.

Tous ou quasi sont donc très bien chantants, l'orchestre est comme à l'accoutumée excellent (et nous montre de fort belles couleurs notamment dans la " grande " scène d'Agrippine), et la baguette du chef, à défaut d'être nerveuse, est juste, comme toujours ... Une réalisation dont très soignée, très BCBG, très british quoi ... Manque encore une fois quelque chose : le feu ...

 

Note : 16/20 Enregistrement : A 02/04/01

 

2) Alcina

 

Un des autres grands ouvrages du compositeur, devenu le cheval de proue de toutes les sopranos voulant un peu se faire mousser, et qui immortalisa Joan Sutherland et son si fameux trille. Il est vrai que l’œuvre est sans doute celle qui se rapproche le plus du drame " classique " que Puccini et Verdi développeront par la suite. Néanmoins, il s’agit aussi d’un très bel exemple de seria, avec décors à profusion, magiciennes et chevaliers ... Ne nous étonnons pas de savoir que le livret est encore une fois dérivé de l’Arioste : Orlando Furioso ; et ne nous en plaignons pas, le résultat est superbe.

 

i) William Christie Renée Fleming (s) : Alcina Susan Graham (ms) : Ruggiero

Natalie Dessay (s) : Morgana K. Kuhlmann (c) : Bradamante

T. Robinson (t) : Oronte L. Naouri (b) : Melisso

U. Lascarro (s) : Oberto

Les Arts Florissants

 

On nous l’annonçait comme le grand succès de l’été 1999. Mais voilà, qu’est-ce qui fait un bon opéra ? Une belle mise en scène, de bons chanteurs, ou alors une bonne interprétation ? De prime abord les trois ! Mais ici, l’esprit des spectateurs si enthousiastes à la sortie du spectacle, n’a dut s’arrêter qu’au seul premier point. N’ayant pas assisté aux représentations, je ne sais que vaut la dite mise en scène de Carlsen, tout ce que je sais c’est que le disque en résultant est assez décevant ... au vue du tapage effectué autour, naturellement.

Passons le premier point donc, et regardons les deux autres. Les chanteurs ... C’est une nouvelle tendance que de faire chanter des non baroqueux dans ce type de répertoire (avant, il y a une quinzaine d’année cela se comprenait, il n’y en avait encore pas, mais maintenant ...), on en avait déjà eut l’expérience avec le Mitridate de Mozart par Rousset, où cela avait plutôt bien " collé ", mais Mozart est plus classique que Händel, y comprit dans ses seria.

Commençons par la moindre de toute : Dessay. Comme chez Rousset les da capi ne sont pas toujours très bien venu (on en reparlera plus tard, ce n’est pas sa faute à elle), mais la voix est d’une telle beauté, d’un tel maintient, d’une si belle prestance ... Des aigus superbes (comme d’ordinaire), mais aussi un moelleux dans le grave qui lui est plutôt récent, et fort bien venu. Une grande et belle démonstration, que ses partenaires n’ont guère suivis. Graham s’en tire plutôt bien, mais ce n’est manifestement pas son répertoire. La voix semble être tirée, tiraillée dans tous les sens, les vocalises peinent, et l’on ne la sent pas trop à son aise, s’attachant manifestement à ne pas faire d’erreur dans la partition alors que la musique devrait la porter. Une grande chanteuse, de cela ne doutons pas, mais qui n’a pas sa place ici. Autre erreur, la jeune soprano Lascarro, en rien le jeune homme juvénile qu’elle devait incarné : les vocalises savonnent à tout va, et l’entrain relatif qu’elle dégage ne comble pas la vivacité nécessaire ... Bonne nouvelle du côté de Kathleen Kuhlmann, qui s’est largement améliorée depuis son enregistrement avec Hickox. La voix s’est affermie, la diction améliorée, et les vocalises bien plus heureuses. Côté des hommes, rien de quoi s’extasier et rien de quoi discuter, même l’habituel excellent Laurent Naouri semble s’être anémié ; Timothy Robinson est quant à lui un peu vert. Mais le point noir provient du rôle titre.

On connaissait Renée Fleming plus adéquate dans des répertoires plus contemporains, ici la soprano joue une parodie de Joan Sutherland, reconnaissons-le, assez calamiteuse : n’est pas miss Joan qui veut ! On glousse, on rame, on savonne, on s’égosille ... passons. Le vrai problème est en fait à chercher du côté du chef. On savait Christie grand amateur de Händel, mais pas toujours très heureux, la tendance semble se confirmer. Les tempi dans l’ensemble se tiennent, même si les allégros se font rares et que le désir de temporiser le tout prédomine. A noter néanmoins une énorme méprise sur le premier choeur, pris à deux à l’heure alors qu’il s’agit presque d’un presto ... (écouter Bonynge) Toujours côté interprétation, si l’orchestre des Arts Flo est de très belle facture, les violons attachent un peu l’oreille, et les cors sont presque inaudibles (dommage pour leur intervention dans Sta nell Ircana) en raison vraisemblablement de la prise de son du Live. Christie s’agite beaucoup dans les allegro, mais la vie fait horriblement défaut, le tonus n’est pas là ... (le trio de l’acte trois est ennuyeux au possible, alors qu’on le sait si palpitant). Parlons enfin des da capo ... Le chef les a sans aucun doute écrit pour ses chanteurs peu habitués à ce répertoire. Il y a du grain et aussi de l’ivraie. Certains sont fort inventifs, d’autres trop ... tant et si bien que l’air original se perd dans des méandres de variations. Variations qui se trouvent être la plupart du temps fort peu naturelles pour la voix des intervenants, et leur demande un effort supplémentaire à fournir, alors que les da capo se doivent de mettre justement en valeur toutes les possibilités naturelles (et extrêmes) des chanteurs : d’où les nombreux arrêts saccadés de part et d’autres pour réussir à accrocher la note écrite, ou suivre la cadence peu orthodoxe ... Pour certains, aucun problème : Dessay a une technique parfaite, et passe tout et n’importe quoi avec aisance et classe (même les choses peu dignes d’elle ...) Robinson et Lascarro aussi : rien ou quasi dans les da capo !

Il manque la vie à cette interprétation, en lieu et place de noce, l’on va au cimetière, certes la fin n ‘est guère heureuse pour la magicienne, mais que Diable, il s’agit d’un divertissement, et tout s’y prête si facilement !

Après tout ces reproches, remarques, et critiques (dans le sens peu noble du terme) on peut se demander qu’elle note catastrophique cet enregistrement va avoir. En fait la note ne sera pas très sévère, car ce que Christie à faire ici est assez remarquable : on n’a plus l’impression d’écouter Alcina, mais au contraire une espèce de pasticcio. Singulier, j’en consens, et que tous ceux qui cherchent Alcina aille voir ailleurs, Hickox en tête.

 

Note : 13/20 Enregistrement : B

 

 

ii) Richard Hickox Arleen Auger (s) : Alcina E. Harry (s) : Morgana

Della Jones (ms): Ruggiero K Kuhlmann (a) : Bradamante

P. Kwella (s) : Oberto M. Davies (t) : Oronte

J. Tomlinson (b) : Melisso

Opera Stage Chorus

City of London Baroque Sinfonia

 

De la musique vivante, tonifiante, ensorcelante aussi, voilà ce qu’est Alcina, et c’est bien Hickox qui l’a compris. Tout ici danse, sautille, s’enflamme et s’embrase. Les passions se déchaînent, les colères font frémir, les larmes attendrissent, les regrets nous touchent, comme chacune des notes d’une partition féconde en rebondissement et changement d’humeur. Alcina est une héroïne alla Puccini, on peut la prendre par plusieurs bouts, ne voir en elle que la magicienne nymphomane, ou alors la femme blessée de n’avoir pas trouvé le véritable amour.

Arleen Auger est entre ces deux visions, tantôt femme fatale, tantôt mygale mangeuse d’homme. La voix est magnifique, la tenue exemplaire, le sens musical tout simplement parfait. Certes la colère n’est pas son fort, mais elle ne l’a feint pas, et ne désempare pas devant les difficultés, notamment dans des da capo d’une originalité exemplaire (cf Ma Quando tornerai). Mais Auger n’est pas la seule sur ce plateau délicieux à savoir Händel sur le bout de la langue. Si la Morgana d’Eiddwen Harry est un peu " gentille " et courte question virtuosité (écoutez Dessay chez Christie) son chant est délicat et des plus agréables. Loin de là ce trouve Della Jones : elle a du chien cette bonne femme ! Surtout lorsqu’elle tient le rôle d’un amoureux transis, et berné. D’une basse on dirait qu’elle tonne à tout va, et c’est exactement ce qu’elle fait cette charmante dame : elle tonne. Cela fuse à droite à gauche, en haut en bas, devant et derrière. La voix est ingrate, on y consent, mais ce qu’elle en fait, Mazette ! Et l’on ne rechigne pas devant les difficultés, on monte, on descend, et des da capo ... les plus beaux jusque ici entendu, tout opéra confondu. A côté d’elle, Kathleen Kuhlmann semble un peu fade, gênée par une virtuosité qui semble la dépasser, pourtant elle va vaillament, ne trébuchant que rarement. La délicieuse Patrizia Kwella nous incarne un jeune homme des plus crédibles, sa voix aux accents juvéniles allant à merveille au propos, et l’abattage de tonus dont elle fait preuve est des bienvenus. Côté homme, Tomlinson bougonne comme il se doit, et Davies gagnerait à soigner son timbre un peu terne, mais tous deux ne ternissent en rien le panorama.

De tout cela, il faut néanmoins rendre justice à César, à savoir le chef. Car c’est de lui, comme je le disais ci avant, que provient toute la fougue, toute l’énergie de cette interprétation. L’orchestre vit sous sa baguette, le drame avance avec entrain, et tension. Les cordes sont un peu ténues, mais que faire lorsque les bois sonnent ci bien, et ces deux cors ... un rêve !

De toutes les intégrales, il s’agit sans doute ici de la plus complète, aussi bien en terme musical (tous les ballets et choeurs) qu’en terme interprétatif. Des chanteurs exemplaires, un chef investit dans son " trip ", entraînant tout le monde derrière lui. Un bijou.

 

Note : 18/20 Enregistrement : A

 

 

3) Ariodante

 

Il s’agit, au côté de Giulio Cesare et d’Alcina, de l’opéra du maestro le plus enregistré à ce jour. Doit-on en conclure que c’est un des plus réussit du caro sassone. Non, assurément, mais il est vrai que l’œuvre possède de multiples qualités qui font de lui l’une des belles créations du maître aux côté de maintes autres, et sans doute pas une œuvre mineure.

 

i) Minkowski A.S. Von Otter (ms) L. Dawson (s)

Ewa Podles (ms) V. Cangemi (s)

Richard Croft (t) Denis Sedov (b)

Luc Coadou (b)

Choeur et Orchestre des musiciens du Louvre

 

Après s’être désintéressé quelques temps des ouvrages lyriques du maestro anglais, Minkowski nous revient avec sa verve habituel, son entrain et son sens aigu du drame. La direction d’orchestre du chef est toujours riche en événements : tempi souvent extrêmes, attaques incisives, et souvent brutales, mais aussi douceur et tendresse, là où le font. Un orchestre qui répond toujours présent, en dépit de sonorités pas toujours des plus flatteuses (notamment dans les passages rapides), mais qui possède toutes les qualités exigibles par son chef : endurance, énergie, et dynamisme.

Rien de bien neuf donc de ce côté ci, Minkowski reste fidèle à lui même, connaissant son Händel et désireux de nous faire partager sa vision, et mettant à cette fin toutes les cartes dans son jeu. Les seules cartes changeant d’une partie à l’autre étant les solistes. Une nouvelle fois, le choix des chanteurs s’avèrent être déterminant, et montre que même avec un excellent chef, bourré d’idées, avec un très bon orchestre, un opéra n’est pas un opéra sans bons chanteurs. Et là, on trouve de tout ...

Ne commençons pas à rechigner, dans l’ensemble c’est convenable, même très appréciable, mais il reste quelques ombres aux tableaux. Les deux sopranos sont plutôt agréables à écouter (avec une Dawson particulièrement en forme) mais légèrement quelconques, et facilement interchangeables (pour ne pas dire remplaçables).

Côté masculin, les deux basses connaissent les mêmes travers que leurs collègues sopranos. Richard Croft est un ténor des plus agréables, mais visiblement un peu " coincé " ici, ne laissant pas libre cours à sa vitalité, et ne mettant pas à profit l’ensemble de ses indéniables qualités.

Il nous reste les deux personnes les plus marquants de l’ouvrage, Ariodante et Polinesso. Une erreur et une découverte. L’erreur, c’est Von Otter, visiblement complètement à côté de la plaque, en dépit de l’encensement que la plupart ont put faire à son sujet. On ne peut pas dire qu’elle chante mal (même si elle savonne un peu les vocalises), on ne peut pas dire non plus qu’elle n’est pas engagée (quoique un peu chiche avec les aigus), mais voilà, on ne la sent pas à sa place, un peu en déphasage, légèrement décalée, pas dans le ton, ailleurs en somme. Peut être perdu quelques années trop tôt, avant ses domaines de prédilections : Mozart ou Glück (quoique même là, je ne l’apprécie guère ...).

La découverte c’est la magnifique, et aussi terrifiante Ewa Podles, avec cette voix sortie d’outre-tombe, cet engagement, cette vie qui émane d’elle ; sans compter son sens particulièrement aigu du ton händélien. Une très heureuse surprise dans ce répertoire (alors qu’on la connaissait déjà chez Rossini, tout aussi superbe).

Ce n’est pas un triomphe sans appel, une belle victoire quand même, avec son lot de pertes comme toute victoire.

 

Note : 17/20 Enregistrement : A

 

4) Deidamia

Le dernier des opéras de Händel, l'ultime chef d'oeuvre ? N'exagérons pas ... Deidamia regorge de ce qui a fait le succès du caro sassone mais l'on ressent nettement l'envie que celui-ci avait de passer à autre chose, à savoir l'oratorio. Les bons airs se suivent, quelques uns sont exceptionnels, et les choeurs qui se font entendre nous font regretter qu'il ne s'agisse là "que" d'un opéra.

i) Alan Curtis Simone Kermes (s) Anna Bonitatibus (Ms) Dominique Labelle (s)

Anna Maria Panzarella (ms) Furio Zanasi (b) Antonio Abete (b)

Il Complesso Barocco

Je l'avoue, j'ai toujours une petite méfiance face à Curtis, son Admeto, son Rodrigo, son Giustino ... tout cela me laissait un goût d'inachevé dans la bouche: c'est beau, c'est joli, c'est plutôt bien chanté, et plutôt bien joué (surtout si on apprécie ce qui ne va pas trop vite et qui ne recoulle pas trop dans les da capi) mais bon, c'est pas l'idéal. Du calme, le brave homme ne s'est pas réveillé d'un seul coup et nous fait un Minkowski ou un Jacobs bis (quoique j'aurai bien de choses à dire sur son Rinaldo plutôt raté ...) mais c'est vrai qu'il y a du progrès.

Curtis vivant ... si, si, cela existe ! La direction a gagné en assurance et en respiration, Curtis commencerait-il à parler le Händel ? L'ensemble va bon train et le Complesso Barocco sonne de mieux en mieux, que des bonnes nouvelles en somme, surtout au regard de ce que ces braves gens nous réservent pour l'avenir.

Côté chanteur ? Là aussi cela se décoince, notamment dans le da capo qui se fait plus léger et moins avare en coloratures et variations qu'auparavant. Passons sur les deux basses, assez quelconques mais bien chantantes, à noter que Zanasi n'a guère changé depuis son Giulio Cesare avec Jacobs: un brin pâteux ... Panzarella et Labelle sont toutes deux bien en voix et nous accordent quelques beaux moments, mais celles qui nous ravissent le plus ce sont Kermes et Bonitatibus.

Commençons par Bonitatibus, une Mingardo bis pourrait-on dire, peut être encore un brin "chouchouttée" et pas assez libérée mais la voix est là et laisse espérer de fort agréables choses pour l'avenir. Quant à Kermes, quelle heureuse surprise ! Je la connaissais plutôt quelconque dans un "Christ sur le mont des Oliviers" de Beethoven sous la baguette de Spering; mais là, c'est une tout autre chanteuse qui se révèle. Le baroque lui sied visiblement mieux. La voix est très belle, agile, leste, et la brave dame n'est pas avare d'aigus, loin s'en faut ! Si on ajoute à cela que ses variations sont généralement plutôt bien pensées, que demander de plus ?

Pour résumer: une jolie "petite" oeuvre, joliment chantée, qui ne faut surtout pas mettre de côté !

 

Note: 14/20 Enregistrement: A

 

5) Ezio

 

Encore un de ces petits bijoux oubliés de l’histoire. Ce n’est pas du meilleur Händel, mais certains des airs sont d’anthologie, et la partie de basse est particulièrement attractive, tout comme l’inventivité d’orchestration dont le " Caro Sassone " a fait ici preuve.

 

i) Richard Auldon Clark D’Anna Fortunato (a) J. Baird (s)

J. Lane (a) N. Watson (b)

F. Urrey (t) R. Pellerin (ct)

Manhattan Chamber Orchestra

 

Attention, pour fan seulement ! Fan de l’équipe américaine de John Ostendorf d’abord, et fan de Händel ensuite. Car voilà, du cher saxon, il faut bien écouter pour retrouver quelque chose ... C’est l’unique version originale qui existe (il existe un autre enregistrement un peu plus convenable, juste un peu, en allemand) et c’est bien dommage ...

On connaît l’équipe de Ostendorf, et l’on sait qu’ils aiment Händel, et que généralement, à défaut d’être subliminal, cela demeure dans le domaine du correct, de l’audible. Mais voilà, ici pas de Brewer ou de Palmer, et l’intervention de Johannes Somary n’a lieu que dans de biens fades concerti pour orgue ajoutés en appendice. Soyons clair : Clark n’y connaît rien, ou alors vraiment très peu, en Händel ; et les chanteurs ont beau faire tout leur possible pour sauver les meubles, on coule comme le Titanic ! Pompez mes amis, pompez ! L’orchestre moderne qui est mis sous la baguette de ce chef assez anémié (qui plus est !) ne vaut malheureusement guère mieux que son capitaine ...

Reste donc les chanteurs ... Fortunato est bien pâle comparé à ce qu’elle nous avez laissé entendre tantôt, est-ce dû au manque d’entrain du chef ? Julianne Baird fait quant à elle des prouesses pour donner quelque vie à ses parties, nous gratifiant même d’un trille assez bien venu, tout à fait inédit pour elle. Jennifer Lane est de loin la meilleure de toutes et de tous, son chant est stylé, mais cela n’y fait rien, on s’ennuie ferme. Du côté masculin, Watson au timbre chaleureux et à la voix bien mise nous donne quelque joie, mais cela s’enlise très vite ... Tout comme pour Frederick Urrey au ténor tantôt grésillard, tantôt flamboyant ... allez comprendre ! Enfin, Pellerin ... la voix n’est pas rébarbative, mais ce qu’il en fait ... (dans la version allemande on n’a guère mieux avec Christopher Robson, mais un peu plus de panache néanmoins).

Je le répète, pour les inconditionnels seulement. Et pour ceux qu’une traduction ne rebute pas, allez plutôt voir la version allemande.

 

Note : 8/20 Enregistrement : B

 

 

6) Floridante

 

Il s’agit là du 13° opéra de Händel, présenté en 1721 dans le cadre de la troisième saison de la Royal Academy of Music au King’s Theatre de Haymarket. L’œuvre, dont les récitatifs furent pourtant traduit en allemand pour une représentation à Hambourg, ne connut pas un succès flagrant. Les réserves du public d’alors doivent essentiellement être imputable à la bataille qui faisait rage entre l’Academy et le théâtre de la noblesse, car l’œuvre, certes loin d’arriver à la pointure d’autres ouvrages du compositeur, n’en demeure pas moins d’une grande richesse, et digne du plus grand intérêt. On y trouve entre autre les plus beaux duos opératiques du compositeur.

 

 

i) McGegan Drew Minter (ct) : Floridante M. Zadori (s) : Timante

I. Gati (b) : Oronte J. Moldvay (b) : Coralbo

A. Markert (ms) : Elmira K. Farkas (s) : Rossane

Capella Savaria

 

Voilà la troupe de Hongrois habituellement réunie autour de McGegan, avec ses habituelles qualités, et ses cruels défauts ... La qualité première de l’ensemble est qu’il s’agit d’une équipe une vrai. Le chef couve tout ce beau monde comme une poule, les duos sont en cela exemplaires de cohérence. L’orchestre se montre particulièrement enjoué, et sonne de manière tout à fait remarquable. Certes, il y a un hic. Une équipe c’est bien, mais si il n’y a que quelques piliers, l’édifice risque de s’écrouler, et on en est pas loin ...

Minter n’est pas au mieux de sa forme, et tout ce qui peut y avoir de crispant dans son timbre est ici mis en porte à faux. Les barytons sont d’une énergie qui fait peur à voir, un paraplégique ferait montre de plus de dynamisme ! (Désolé pour les paraplégiques.) Heureusement du côté féminin, on montre la voie. La mezzo ayant un sacré caractère vindicatif qui tranche singulièrement avec l’apathie masculine. Les sopranos sont plus zéphyriennes, un peu trop éthérées peu être, mais d’une touchante délicatesse, et le splendide duo de l’acte deux est un vrai délice.

Le drame ne vit sans doute pas assez dans ses pages interprétées de manière trop doucereuse, trop joli. Il manque le feu sacré qu’elles nécessitent, et ce n’est pas l’agitation de certains passages qui traduisent une réelle énergie. On s’ennuie un peu, mais juste pas assez pour aller écouter ailleurs. C’est beau, gentil quoi ...

 

Note : 13/20 Enregistrement : A-

 

 

7) Giulio Cesare

 

Il s’agit là de l’opéra de Händel qui a eut le plus de succès au vingtième siècle, renouvellement celui obtenu deux siècles plus tôt. L’œuvre fut donnée à l’époque 38 fois, et depuis 1922, date de son " exhumation " à Göttingen, l’œuvre n’a quasiment plus disparu des scènes mondiales. L’ouvrage est l’un des plus ambitieux de Händel, et aussi l’un des plus brillants ; les airs inoubliables s’enchaînent, laissant croire que tout le génie du compositeur est ici condensé. L’une des plus grandes pages de l’opéra seria, pour ne pas dire la plus grande.

 

i) René Jacobs J. Larmore (ms) B. Schlick (s)

B. Fink (ms) M. Rorholm (s)

D.L. Ragin (ct) F. Zanasi (b)

D. Visse (ct) O. Lalouette (b)

Concerto Köln

 

Voici l’un des disques les plus marquant de ce siècle. Jacobs donne le ton, la direction est vive, ajustée, précise, nette et sans bavure ; le Concerto Köln suit la mesure et sonne à merveille. Côté solistes : des perles de beau chant.

En tête : Jennifer Larmore : son rôle. Cela explose, à droite, à gauche, en bas, en haut ; on ne sait plus où donne de la tête, un Jules comme elle : un rêve ! Ensuite on s’arrache les miettes : Ragin est génial en Ptolémé un peu farfelu, mais très propre sur soi. Rorholm campe un Sesto tout de chair et de sang, près à se battre jusqu’au bout pour venger son père. Miss Fink est la plus touchante des Cornelia, plaintive à souhait. On aurait aimé une Cleopatra un peu plus séraphique que Barbara Schlick, mais sa voix légèrement corsée va au rôle comme un gant. De même, Achille aurait mérité basse plus claquante que Furio Zanasi, mais l’homme est fort brave, ce qui sauve de tout. Les seconds rôles sont tout aussi enthousiasmants, avec un Dominique Visse particulièrement truculent.

Une exceptionnelle réussite !

 

Note : 20/20 Enregistrement : A

 

8) Partenope

Voilà ce que l'on appelle un petit chef d'oeuvre. Partenope fait partie des opéras les plus excitants du caro sassone, tant les idées musicales du maestro abondes. Chaque air est un véritable joyau, et l'on s'étonne que notre cher partisan du recyclage n'est pas plus pillé cette composition par la suite ! Certains pourront dire que dans Partenope il y a beaucoup de "jolie" musique, que l'ensemble est assez "divertissant", mais qu'il n'y a rien de transcendantal (à l'instar d'un Giulio ou d'un Rinaldo par exemple), et bien retournez à ces opéras qui vous semblent plus "cérébraux" et laissez-nous tranquillement avec celui-ci qui, croyez moi, vaut largement les autres et nous divertit tout autant : ah, cette bataille du second acte, un régal ...

i) Sigiswald Kuijken Krisztina Laki (s) Helga Müller Molinari (ms)

René Jacobs (ct) John York Skinner (ct)

Martyn Hill (t) Stephen Varcoe (b)

La Petite Bande

 

Nous avons affaire à une "antiquité" de la musique baroque, pensez donc: 1979 ... l'âge de Néanderthal ! J'exagère un peu, mais on est guère loin. Kuijken nous offre ici l'une de ses deux seules incursions dans l'opéra Händelien (son Alessandro postérieur étant néanmoins nettement en-dessous de celui-ci) et, pour l'époque, un enregistrement de référence. Qui plus est, cette gravure n'a presque pas pris une ride depuis ! Si l'on reproche souvent aux "anciens" de n'avoir pas su saisir entièrement l'esprit des compositeurs baroques, et ainsi leurs enregistrements semblent surannés à nos oreilles modernes, ceci ne peut en aucun cas s'appliquer ici. Kuijken n'est certes pas un Jacobs ou un Minkowski, et l'on pourrait rêver à mieux (comme toujours !) mais il a le ton juste, et la baguette leste, tant et si bien que tout sonne admirablement. Seul véritable regret: les da capo sont dans l'ensemble plutôt linéaire, ou alors aux appogiatures des plus "lights", mais avouons que cela vaut mieux à un excès qui par dans tous les sens, n'est-ce pas mon cher William ...

En commençant par son orchestre, une Petite Bande pas si petite au demeurant et qui a tout d'une grande (je sais, elle est facile ...), aux sonorités suaves et aux vents envoûtants (hautbois et flûtes en tête). Ensuite, par une équipe de chanteurs de premier choix. La soprano est tout à fait à l'aise dans ce répertoire, et si elle n'est pas exceptionnelle, elle s'attaque avec hardiesse à sa tâche et s'en sort avec tous les honneurs. L'alto de madame Molinari est légèrement en retrait mais ne démérite en rien, même si elle ne possède pas le corsé que l'on aurait pu espérer, notamment dans son final de l'acte I avec cors obligés. Côté homme, que du bonheur, du moins si l'on passe rapidement sur le très quelconque York Skinner, contre-ténor correct mais sans plus. Stephen Varcoe nous enchante de sa voix de baryton haut perché, qui déjoue avec aisance toutes les vocalises hardues que son rôle exige. Elégance et fluidité sont ses maîtres mots. Martyn Hill n'est pas en reste question vocalises délirantes, et sa voix légère qui fait de lui l'un des meilleurs ténors "baroqueux" nous montrent toute son étendue et sa flexibilité. Bien entendu, j'ai gardé THE star pour la fin ... comment faire autrement ? Jacobs: délicieux, intriguant à souhait, à la vocalise parfaite, à l'entrain communicatif.

En bref, une antiquité qui vaut un prix d'or ! Loin d'être un enregistrement parfait, cette Partenope mérite sa place dans le palmares des meilleures gravures accordées au Caro Sassone.

 

Note: 17/20 Enregistrement: A (31/08/2003)

 

9) Poro, dell’Indie

 

Le livret est l’un des plus utilisés du monde classique : Alessandro nell’Indie de Metastase. Nombreux en effet sont les compositeurs qui se sont attaqués à ce texte, en commençant par Hasse et sa Cleofide, en passant par Glück et bien d’autre. En fait du poème de Metastase, Händel n’a pas conservé grand chose, taillant dans le vif des vers, et arrangeant les événements à sa manière ! Händel ne composa que deux autres opéras sur des textes de celui qui allez devenir le " compositeur officiel " de livret d’opéra. Il trouvait la poésie du maître italien trop " classique ", trop conformiste, et pas assez truculente de situations concasses à son goût ; et surtout, Metastase ne connaît pas la magie, or Händel adore la magie ! Regardez le nombre de magiciennes dans sa production, c’est effarant. La musique perd en grandiloquence, et aucune " Grande Scène " ne se démarque, rien de spectaculaire, mais beaucoup de poésie en contrepartie, et une douceur qui n’est pas sans rappeler les pastorales plus anciennes.

 

i) Fabio Biondi G. Banditelli (a) Rossana Bertini (s)

Bernarda Fink (ms) Gérard Lesne (ct)

Sandro Naglia (t) R. Abbondanza (b)

Europa Galante

 

Biondi est un violoniste, et cela s’entends ! Ce n’est pas par hasard qu’il a choisit d’enregistrer cet unique opéra de Händel, c’est celui qui comporte sans doute les plus belles parties de cordes de toute la production du Caro Sassone. La direction du chef italien s’appuie donc essentiellement, pour ne pas exclusivement, sur les capacités (phénoménales, avouons-le) de ses archets. La musique exalte toute sa poésie au travers du soyeux des cordes de l’Europa Galante, mais les vents ne sont pas pour autant en reste, on regrettera juste la minceur des cuivres, peu usités certes, mais donc l’impact aurait dût être mis en exergue, car ce sont les seuls moments un peu plus " agités " qui demandent leurs interventions.

Biondi est au petit soin aussi avec ses chanteurs, malheureusement fort inégaux. Si on salue la mezzo Bernarda Fink à lavoix toujours très charnue, et au timbre des plus agréables, on remarquera aussi la prestance de Gérard Lesne, dans un rôle qui convient admirablement à son registre. Par contre, on regrettera la légère pointe d’acidité dans la voix de Rossana Bertini, remarquable pourtant d’aisance et d’intelligence de chant ; de même pour le caractère " emmitouflé " de l’alto de Gloria Banditelli, peu avide de témérité par ailleurs. La bête noire demeurera le ténor assez calamiteux de S. Naglia, à la voix nasillarde et peu agile, ce qui est d’autant plus regrettable sachant que l’on a là parmi les plus belles pages écrites pour cette tessiture dans un opéra de Händel.

Un travail d’orchestre exemplaire, peut être un peu trop porté sur les cordes, mais servit par des interprètes de qualité fort aléatoire.

 

Note : 14/20 Enregistrement : A

 

 

10) Riccardo Primo

 

" Re d’Inghilterra ", roi d’Angletterre ... Une allusion face à sa nouvelle patrie, peut être. Händel naturalisé un an plutôt monta ce Richard Premier le 11 Juin 1727, et connu à l’époque un succès assez important, et on ne peut plus méritoire ; n’en demeure pas moins qu’il fallut attendre jusque dans les années 60 pour voir reparaître l’opéra ! La musique est, comme dans la majorité des ouvrages lyriques du maestro, des plus diversifiées, tendresse, amour, rage, colère, jalousie, tout est ici réuni pour donner un grand, un très grand seria.

 

 

i) Christophe Rousset Sara Mingardo (ms) Sandrine Piau (s)

Olivier Lallouette (b) Roberto Scaltriti (b)

Claire Brua (ms) Pascal Bertin (ct)

Les Talens Lyriques

 

 

Comment remercier Rousset, toujours à même de nous faire découvrir de nouvelles partitions jusqu’alors oubliées dans les placards de miteuses bibliothèques (la British Library la plupart du temps !), on se souvient de son Scipione, mi figue mi raisin. La présente réalisation est par mainte cotés supérieures, mais laisse toujours sur notre faim.

La direction du chef français est toujours tout à fait dans le ton voulu, ni trop vive d’un côté, ni trop lente ailleurs, et elle sait faire respirer la musique par elle même. L’orchestre des Talens lyriques ne possède pas toujours les sonorités les plus charmeuses, mais aucun grief n’est à lui reprocher (si ce n’est une prise de son assez restrictive ...). Allons voir les solistes.

Commençons par les seconds rôles. Claire Brua possède toujours une voix extrêmement fermée et engorgée, avec une émission un peu étriquée, mais ses talents de musiciennes, et son sens aigu du da capo, compensent beaucoup. Pascal Bertin au timbre flûté se voit confier quelques airs de bravoures, dont on pouvait craindre le pire, mais le tout passe sans trop de dégâts ni trop de louanges, correct, point. Olivier Lalouette ne possède malheureusement ici aucune personnalité, compté avec cela que son personnage chante peu, vous aurez compris qu’il s’oublie rapidement.

Vers les autres rôles tournons nous, et réjouissons nous. Sandrine Piau est moins en verve ici que ce que l’on a connu par ailleurs (dans Scipione par exemple) mais elle reste la grande dame de ce plateau, et l’on se délecte à chacune de ses apparitions, avec ce timbre fruité et son sens inné de la musique du caro Sassonne. La contralto Sara Mingardo possède aussi ce sens inné de la musique du grand maître, mais l’émission reste par trop timide, et l’on ne découvre que trop rarement ses réelles qualités lorsqu’elle décide enfin de se " lâcher ", une grande chanteuse assurément, qui mérite d’être suivie de très prés, mais qui mérite aussi de perdre un peu en sa timidité. La révélation de cet enregistrement est une basse, fait suffisamment rare pour être souligné, il s’agit de l’italien Roberto Scaltriti, véritable " bête " de scène, au baryton triomphant, nous en faisant presque décoller les tympans tant sa voix porte en toute aisance, ajouté à cela une bonne propension à la vocalise, et un bon toucher händélien , et vous l’aurez compris l’on s’en réjouit.

Rousset signe donc une nouvelle fois un enregistrement des plus remarquables, mais non dénué de scories, que fi, précipitez vous dessus, cela vaut largement le détour.

 

Note : 15/20 Enregistrement A-

 

 

11) Rinaldo

 

Un des plus grand chef d’œuvre du compositeur, et son premier opéra londonien. On dit souvent de Rinaldo que c’est un opéra à " tubes ", il est vrai que chaque air en soit est une parfaite beauté et regorge d’inventions. L’ouvrage entier est un magnifique spectacle, où Händel a déployé tout son art pour impressionner ses nouveaux auditeurs, et la réussite est totale. Hier comme aujourd’hui : un des plus beaux opéras au monde.

 

i) Hogwood David Daniels (ct) Cecilia Bartoli (ms)

Bernarda Fink (ms) Daniel Taylor (ct)

Gerald Finley (b) L. Organasova (s)

The Academy of Ancient Music

 

Que dire ? Hourra ! et surtout ouf ! D’abord parce que ce qui est selon moi l’une des plus belles (pour ne pas dire la plus belle) réalisations du maître est enfin enregistrée (on ne compte pas le nombre d’extraits présents dans des récitals divers, du rabâché " Cara sposa " en passant par d’autres " Venti Turbini ", mais pas d’intégrale !), ce qui répare une profonde injustice, et surtout ce présent coffret nous fait oublié à la célérité de la lumière l’affreuse gravure de Malgoire (calamiteuse à deux ou trois exceptions près) et l’insupportable live avec La Horne (les planchers de la Venice grinçant plus fort que les chanteurs ....) (Horne qui d’ailleurs était la seule vraiment à sa place dans cette réalisation).

Injustice est réparée, hourra pour Hogwood et zut pour tous les autres baroqueux qui pour des raisons x ou y ne sont pas attelés à la tâche avant lui. Je m’emporte, désolé, mais que vous voulez vous, lorsque l’on laisse dormir dans son grenier un chef d’œuvre on ne peut que remercier celui qui l’en ressort. Bien sûr il y avait eut les concerts donnés par Rousset qui laissaient espérer un enregistrement fulgurant (pensez donc : Mingardo, Piau, Scarltriti ...) mais rien au final : Traditor ! Nous avons aujourd’hui néanmoins une belle brochette de chanteurs (dont les deux stars montantes Bartoli et Daniels) et surtout un chef au parfum de Händel depuis un sacré bout de temps.

Hogwood nous offre ici un spectacle haut en couleur, avec une académie plus luxuriante que jamais et qui n’appelle simplement aucun reproche. On saluera particulièrement le solo de clavecin dans le " Vo far Guerra " superbement enlevé.

Côté chanteurs, que des belles voix, mais pas toujours les plus fraîches ou les plus judicieuses. Commençons par les reproches, et peut être par un reproche à l’adresse du chef en premier lieu, si comme soupçonné c’est lui qui a écrit les da Capo : ceux ci sont dans l’ensemble (heureusement il y a quelques superbes exceptions, comme le " Sibillar ... ") plutôt neutres et peu virtuoses, un brin de frustrations donc, mais juste un brin ...

Les autres reproches maintenant : Bartoli nous joue la timorée, pour quelque fallacieuse raison madame (qui d’ordinaire est si friande de rôle pour soprane) se contente de celui de la douce et bien prude Almirena (alors que Armida ne l’aurait en rien démontée, tant pis pour les suraigus, de toute manière avec l’antique Organasova on a guère mieux ...), tant pis. De toute manière Bartoli est toujours égale à elle même et c’est un ravissement que de l’entendre, même si elle est moins déjantée que d’habitude. Organasova, passons, elle a fait son temps, la ligne de chant et droite, l’aigu un peu juste, mais elle est aussi froide que son Armida le demande.

Taylor est bien " gentil ", mais la voix est toujours aussi belle, pas beaucoup de flamme, on s’en passera. Maintenant nous reste les trois autres (je ne parle pas des rôles secondaires, entre un Mehta complètement à côté de la plaque et des Bott, Rincon et Padmore malheureusement par trop sous employés, ah Padmore !).

Fink est magnifique, de prestance, d’allure, de tout, son Goffredo file droit, et on le suit avec joie. Même joie pour Finley, en grande forme la basse anglaise, qui nous avale son Sibillar tout cru, et nous on applaudis.

Enfin, Daniels ... No comment, si ce n’est celui formulé sur les da capo : " il est trop ce type ". Un vrai régal que ses airs, un bonheur pur (et entre ses cordes vocales le si d’ordinaire " barbant " " Cara sposa " retrouve sa raison d’être.)

 

On se lève, on tape des pieds, on est heureux. Bourré de petits trucs qui clochent, mais mince alors que c’est bon et beau ! Elle est pas belle la vie ?

 

Note : 20/20 Enregistrement : A

 

 

12) Rodrigo

 

Il s’agit d’un des premiers opéras du cher saxon, et sa première œuvre en terre italienne. L’opéra fut créé à Florence en 1707, mais comme à son habitude Händel y réutilisa des morceaux déjà entendu ailleurs, dans d’autres opéras ou des cantates, et réutilisera par la suite le même matériel pour des œuvres bien plus tardives, tel le Messie. L’ouvrage contient une myriade de petites merveilles, et avec des moyens fort limités rend compte d’une multitude de climats. De la période italienne, il s’agit sans doute ici du meilleur ouvrage profane du compositeur.

 

i) Alan Curtis G. Banditelli (a) Sandrine Piau (s)

E. fedi (s) Rufus Müller (t)

F. Invernizzi (s) C. Calvi (a)

Il Complesso Barocco

 

On sait Curtis grand amateur de reconstitution, pour ne pas dire reconstruction, musicologique. Saluons donc son travail sur la partition. Ensuite penchons nous sur son cas en temps que chef d’orchestre. Tout sonne bien, tout est joli, mais rien ne vibre vraiment, on ne s’emballe pas, on n’explose pas, et surtout ... mon Dieu que ces da Capo sont plats ! A croire qu’il interdit aux solistes de s’écarter de la partition (ce qui ne m’étonnerait qu’à peine, vu l’absence totale d’appoggiatures dans les parties da Capo).

Quel dommage ! Car les solistes sont dans l’ensemble des plus corrects. Sandrine Piau rayonne comme à son habitude, dans un répertoire qu’elle connaît et apprécie, mais ici pas de colorature, pas de vocalises insensées ... Si les deux altos ne sont manifestement pas au mieux de leur forme, côté soprano on est plutôt gâté. Si Elena Fedi est un peu acidulé, le grand bonheur vient de Roberta Invernizzi, une grande dame, à suivre de près, de très près ! L’heureuse nouvelle vient aussi du ténor, qui en d’autre temps nous avait plus que déçu, Rufus est ici à son meilleur, et ses airs (les plus périlleux de tout l’ouvrage) sont de véritables délices. L’orchestre sonne fort bien, même si le nombre des instrumentistes est assez restreint.

Un enregistrement extrêmement plaisant, mais un rien frustrant en raison de l’aridité des da capo. Curtis nous avait déjà joué le tour avec l’Admeto (avec en plus des erreurs regrettables de tempi), mais il fut néanmoins beaucoup plus heureux ici.

 

Note : 15/20 Enregistrement : A

 

 

  13) Serse

 

L’un des plus connus opéras du Caro Sassone , aux côtés du Giulio Cesare, jugé, à tort, comme le seul opéra buffa du compositeur, et dont on ne retient généralement, à tort, que le seul " Ombra Mai Fu ". Car des opéras aux éléments comiques il y en a eut d’autres (Partenope par exemple), et car les airs magnifiques se succèdent dans celui-ci.

Pourtant c’est bien cet air qui donne le ton de l’ouvrage, ce chant langoureux que le quidam croit être un chant d’extrême tristesse, une plainte parfaite, et qui n’est autre que le chant d’amour du héros pour un ... platane ! Dire que j’en connais qui ont pleuré en l’entendant ! Là encore, c’est le grand art de Händel que de fournir tel matériel musical pour le tourner instantanément en dérision.

 

i) McGegan J. Malafronte (ms) : Serse J. Smith (s) : Romilda

L. Milne (s) : Atalanta S. Bickley (ms) : Amastre

M. Asawa (ct) : Arsamene David Thomas (b) : Elviro

Dean Ely (b) : Ariodate

The Hanover Band & Chorus

 

 Oui, je sais, McGegan, encore ! Mais McGegan est apparemment le seul qui s’intéresse à effectuer une telle démarche, à savoir ce qui semble bien être un début d’intégrale. Un par an depuis qu’il était à la tête du festival de Göttingen, mais depuis ... une petite baisse de forme, passagère on espère. On retrouve les remarques habituelles : pas d’erreurs, des tempos justes, pas trop de précipitations (quoi que plus on avance dans l’opéra plus cela s’active du côté du pupitre : une envie pressante ou un subit réveil ?), un orchestre correct (quoi que un peu chiche du côté des cordes).

Mais pour une fois la bonne nouvelle est du côté des solistes : cela s’améliore ! Serse est une inconnue, pas très grave (pas assez pour le rôle ?), pas très aigu (pas assez pour le rôle ...) mais pas trop mal au demeurant. Romilda est une " vieille " connaissance, dans un rôle sur mesure : on ne tire pas trop sur la corde, donc elle ne casse pas (logique !). Lisa Milne est une Atalanta des plus radieuse. Les emplois secondaires sont très intéressants, en premier lieu Asawa. Décidément, le contre-ténor sino-américain n’a pas finit de nous étonner, et l’on acquiert la certitude que Händel lui va comme un gant (on se souvient de son Ptolémé à Garnier), on le sent engager, à l’aise autant dans les aigus que dans le médium (exploitant peu ses graves néanmoins). Là où on pouvait un peu " tiquer " c’est lorsque l’on voit que le rôle grave principal revient à Dean Ely et non à David Thomas, reléguer en bouffon. Mais diable que cela leur va bien à tous deux ! Les graves chaleureux du premier et le côté déjanté du second sont d’une parfaite adéquation.

L’orchestre ne sonne pas vraiment agréablement, et l’on vient à se demander s’il s’agit bien d’instruments anciens, heureusement la trompette et le cor nous rassurent sur ce point, mais quand même ... D’un autre côté, McGegan n’a jamais eut de choeur (même dans les enregistrements des oratorios) ayant une telle pêche, et un tel cœur à l’ouvrage, cela fait plaisir.

Pas une référence, mais l’a-t-on quelque part ? Si oui, faîtes moi signe, et vite !

 

Note : 15/20 Enregistrement : B- (orchestre lointain, solistes étriqués)

 

  

ii) Malgoire C. Watkinson (ms) : Serse P. Esswood (ct) : Arsemene

Erik Cold (b) Ulrich Studer (b)

 La Grande Ecurie et la chambre du Roy

  

Oh la la ... Panique à bord. Les femmes et les enfants d’abord. Sauve qui peut. Entendons nous bien, je n’ai rien contre Madame Watkinson (la seule qui habite vraiment ses airs de son timbre merveilleux), ni d’ailleurs contre les autres chanteuses (quoi que ... pas dans leur répertoire dirons-nous pour être gentil) ni contre les chanteurs (pas mauvais, voir même bons) mais tout ce brave monde a un handicap fatal : Malgoire !

Malgoire + Händel = DANGER. Cela peut passer : Water Music et Royal Fireworks, mais cela peut aussi casser : partout ailleurs ! Des airs tronqués, sans vie, des tempi débiles (c’est le mot), des récitatifs secs (arides même !) non, non, et encore non ! Même la divine Watkinson n’y pourra rien. Au secours !

  

Note : 2/20 (pour Watkinson) Enregistrement : A-

 

14) Scipione

Scipione est bien moins connu que "Giulio Cesare", "Tamerlano" ou encore "Rodelinda", qui l'ont directement précédé, et pourtant si on en croit l'Abbé Prévost c'était l'un des opéras de Händel préféré des anglais. Composé en attendant l'arrivée de la Faustina et avant le futur "Alessandro" qui devait opposer cette dernière à la Cuzzoni, et ainsi conduire à la plus belle histoire de crêpage de chignons de toute l'histoire de l'opéria séria, Scipione n'en demeure pas moins une oeuvre remarquable. Certains airs font partie de ce que Händel a fait de meilleur, d'autres sont un peu plus vides (l'urgence de la composition ?) et s'il y a quelques emprunts ce sont pour l'essentiel les opéras postérieurs qui en profitteront. A noté, Scipione contient ce que je juge comme étant l'un des airs les plus virtuoses du maestro: "Scoglia d'immota fronte".

 

Christophe Rousset Derek Lee Ragin (ct) Sandrine Piau (s)

Doris Lamprecht (ms) Olivier Lalouette (b)

Vanda Tabery (s) Guy Flechter (t)

Les Talens Lyriques

 

D'abord, merci à Christophe Rousset d'avoir gravé ce petit chef d'oeuvre, et surtout grâce lui en soit rendu d'avoir choisit Sandrine Piau dans le rôle titre, mais j'y reviendrai plus tard. Donc Rousset et ses Talens Lyriques ... Avec une prise de son des plus propres, à la différence de son Riccardo Primo, l'orchestre laisse entendre toute sa beauté et cela ne peut que nous réjouir. La baguette du chef est comme d'ordinaire ni trop rapide ni trop lente, juste posée, mais elle sait néanmoins aussi s'énerver là où il le faut (le fameux "Scoglia ..." entre autre), Rousset connait Händel et ne le trahit pas. Si l'on sait que le chef a su plus tard choisir des solistes de bon aloi, on ne peut malheureusement que regretter qu'ici il n'ait pas fait meilleur choix ... Je m'explique.

Vanda Tabery campe une Armira tout à fait convaincante et non avare d'aigus, ce qui fait toujours plaisir. Olivier Lalouette prête son bariton leste, à défaut d'être un brin plus mordant et aboyant comme ses airs l'incitent à l'être, à un Ernando, qui était, faut-il le rappeler, interprété par "la" basse händélienne Broschi à l'origine, et s'en tire pas trop mal à défaut d'être exceptionnel. A Doris Lamprecht, mezzo à la voix au timbre pas toujours des plus agréables (mais l'on a connu pire, comme notre très chère Della Jones par exemple) échoit un rôle originellement distribué à Senessino, et là cela commence un peu à coincer ... Car madame Lamprecht manque du punch que l'on connait à notre toujours très chère Della Jones, et l'on vient à regretter que cela ne soit pas elle qui chante à sa place ! La voix manque souvent d'attaque et se "perd" de temps en temps, mais ne nous affolons pas, ce n'est pas une catastrophe et la brave dame se laisse bien mieux écouter que nombre de ses cogénères. Est-ce que je parle de la calamité qui s'est abattu sur ce disque (mais où donc Rousset avait la tête, enfin les oreilles ?) ou je vous laisse mariner ?

Derek Lee Ragin, non non rassurez-vous je ne vais pas en dire du mal, loin s'en faut, est toujours égal à lui-même, la voix est leste et agile même si ces airs sont pour la plupart peu virtuoses et si l'on aurait mieux aimé qu'il échangea sa place avec miss Lamprecht. Sandrine Piau, elle aussi toujours égale à elle-même, un diamant parmis les étoiles. Ecoutez ce "Scoglia ...", rien que pour ces quelques minutes le disque se doit d'être en votre possession (elle l'enregistrera à nouveau avec Rousset lors d'un récital Händel au Théâtre des Champs Elysées en Octobre 2003) ! De la fureur, de la douceur, de la virtuosité ... elle a tout !!! Une Bérénice de rêve qui fait honneur à la Cuzzoni.

Alors ce point noir ? Je dirais que c'est un trou noir ... Flechter ... Un pseudo-ténor s'égosillant dès qu'il faut un peu monter et qui nous donne envie d'hurler dès qu'il ouvre la bouche ... que dire de plus ? Cher Christophe, que vous ait-il donc passé par la tête d'engager un chanteur qui chante faut ... car malheureusement c'est ce que ce brave Guy fait, et chaque air devient un calvaire (merci la touche avance rapide sur la télécommande) et l'on ne peut que rêver à ce qu'un Ainsley aurait donner !

On aurait aimé une distribution un brin au-dessus de celle-ci (ou du moins sans Flechter !), mais cela reste dans l'ensemble d'une très belle facture. Un résultat mi figue, mi raisin en somme, mais ce "Scoglia ..." ah là , je le repasse en boucle !

 

Note: 14/20 Enregistrement: A (29/07/2003)

 

 

   

Récital David Daniels : " Sento Amor "

 

i) H. Bicket Orchestra of the Age of Enlightenment

 

J’ai choisi de classer ce récital dans cette catégorie, non qu’il ne contienne que des pages de Händel, David Daniels chante aussi du Mozart et du Glück, mais parce que le jeune contre-ténor s’est tout particulièrement fait remarquer dans ses interprétations du répertoire Händélien.

Ici, pas d’air de bravoure à proprement parler, seuls le " Venga Pur " extrait de Mitridate, et le " Furibondo " de Partenope, appellent à vocalises, et encore rien de très exigeant. Le chanteur s’est plutôt attaché à un répertoire plus intimiste, répertoire qui lui sied tout aussi bien. On redécouvre avec plaisir le si rabâché " Che faro senza Euridice " qui ne nous a jamais paru si touchant que dans la présente interprétation. On redécouvre avec joie des passages oubliés d’œuvres peu connues : Mitridate, Ascanio in Alba, Partenope, ou encore le si boudé Tolomeo.

La première constatation à faire est la similitude entre le présent récital et celui donné par Nathalie Stuzmann : les airs d’opéras de Mozart, et l’air de concert. Loin d’imiter la contralto, David nous présente une interprétation de qualité égale, mais complémentaire de la précédente : le timbre est différent, l’ambitu est plus large, les graves certes moins saisissant, mais les aigus plus moelleux, plus percutant : écoutez la colorature dans " Venga Pur " . La prestance du contre-ténor est saisissante, son instinct musical aussi, les da capo sont d’une richesse incroyable, d’une lisibilité que peu de chanteur atteigne dans ce répertoire. L’accompagnement de l’orchestre de l’Age des Lumières est tout à fait à la hauteur, la direction est enlevé, énergique, mais aussi tendre lorsqu’il se le doit. On soupçonnera que le choix d’un chef inconnu ait été fait pour ne pas mettre quelqu’un " dans les pattes " du chanteur, et laissez celui-ci libre de ses agissements : tant mieux !

Un grand récital baroque, par le meilleur contre-ténor au monde.

 

Note : 19/20 Enregistrement : A

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 The End