Quand on dit Bernstein, on pense immédiatement au chef du New York Philarmonic Orchestra, cet personne bourrée de talent, d’une joie et d’un amour de la musique communicatifs et sans limite, on pense à ces fameuses émissions de télévisions destinées aux jeunes. Et bien évidemment on pense : « West Side Story ». Mais il n’y avait pas que cela. Bernstein c’est aussi bon nombre d’autres musicals moins connu du public tel « Candide » , « Trouble inTahiti », « On the Town » ... et c’est aussi quelques oeuvres très sérieuse, et assez avant-gardiste : ses deux symphonies, ses ballets, sa « Mass » ... Enfin Bernstein, c’est deux de ses amis : Betty Comden et Adolph Green, les duettistes qui l’accompagneront dans son parcours théatral.
Ce musical fait partie des perles rares méconnues que Bernstein destinait à Broadway. Il ne s’agit peut être pas là de sa meilleure composition, mais l’œuvre possède une réelle beauté, et une irrésistible bonne humeur s’en détache par petite touche.
Facile ... de la musique facile, donc pas dure à diriger, pas dure à chanter, pas très intéressante, trop « pop ». Voilà ce que l’on pourrait entendre de ci de là (et croyez moi j’en ai entendu). Certes, cela simple facile, mais Mozart n’a-t-il jamais composé de la musique facile ? Et d’ailleurs qu’entend-on par « facile » ? Si on appelle « facile » une musique qui nous touche dès la première audition, et bien j’en connais beaucoup de ce genre de musique, Dieu merci ! Car la musique se doit de nous toucher dès les premiers instants, et celle de Bernstein y réussit avec fort belle élégance.
On pensait Sir Rattle plus « accro » de musique « sérieuse », et on le découvre ici de manière tout à fait inattendue en chef totalement déjanté, aussi à l’aise ici que chez Debussy. Sa direction, nerveuse et pleine d’entrain, très « jazzy », est tout à fait dans le ton; comme le sont d’ailleurs les chanteurs.
Hampson passe avec une facilité déconcertante des rôles les plus sérieux (on se souvient de son « Billy Bud ») aux rôles les plus frivoles (bien qu’ici son personnage soit à mi-chemin entre le tragique et le comique), il s’en tire ici fort joliment, même si son timbre aurait gagné à être légèrement moins caverneux. La soprano Kim Criswell a sans aucun doute déjà usé ses pénates sur les planches de Broadway tant elle semble à l’aise dans ce répertoire, jouant de sa voix avec un à propos certain. L’heureuse découverte est la soprano Audra McDonald (déjà entendu dans un récital de Bernstein : « New York », et dans le récent « I was looking at the ceiling ... » de John Adams) au timbre délicat et radieux, qui fait planer à chacune de ses apparitions un voile de suavité des plus appréciables : écoutez « A little Bit in Love » pour vous en convaincre (air déjà interprété dans le récital avec un accompagnement plus agréable à mon goût).
Chapeau bas pour l’orchestre et le choeur, surtout ce dernier, très engagé : cf Le Conga. On s’amuse donc beaucoup aussi bien sur le plateau que dans la salle, et c’est tant mieux !
Note : 18/20 Enregistrement : A
Tout le monde connaît ce qui ouvre et conclue ce musical : « New York, New York ! », devenu un standard. Le destin a voulu que tout le reste tombe dans l’oubli ou quasi, quel dommage, car c’est une musique pleine de vie et d’entrain que l’on a là. Un des chefs d’oeuvres que Bernstein nous a légué, un de plus. Pas une minute à perdre, pourrait être le sous-titre de ce morceau de bravoure où l’on ne voit justement pas le temps passé, et lorsque les dernières notes s’égrainent on se demande si ce n’est pas que l’entracte.
La première chose que l’on peut se demander c’est : Qu’est-ce que tout ce joli monde qui est venu se perdre ici ? M’enfin, du musical ... ce n’est pas très sérieux. Pourtant nous avons Hampson (on le sait chantant tout et n’importe quoi) en grande forme, d’une belle prestance, et plus léger qu’à son habitude. Nous avons aussi Ramey (le grand dramaturge ...) bougonnant à souhait, mais un peu caverneux. Il y a aussi Frederica Van Stade (pente descendante ?) moyenne, mais bourrée de surprise. Il y a la succulente Marie McLaughlin (besoin de reconversion ?) pétillante et délicieuse. A côté nous avons Kurt Ollmann, grand amateur de musical on le sait (Bernstein, Gershwin ...) un peu léger, mais très délicat, et fin musicien. Cleo Laine authentique figure mythique de cette époque. Il y a aussi David Garrison, ténor pas toujours très heureux. Et enfin il y a Tyle Daly, son nom ne vous dit rien ? Et si je vous dit Cagney ... oui, cette série mettant en scène deux policières ... Et bien c’est elle, avec quelques années en plus, quelques kilos aussi, mais aussi une pêche d’enfer et un sens du spectacle démesuré, un vrai régal.
Pour cela, il fallait un catalyseur, réussissant à mettre tout ce joli monde dans le même panier, et devinez qui tient ce rôle : MTT of course ! Il ne pouvait n’y en avoir qu’un pour dérider tout cela, avec un orchestre grandiose, jazzy à souhait, virevoltant dans tous les sens. Vraiment cela donne allez dans cette belle pomme !
Note : 18/20 Enregistrement : A
L’œuvre était sans nul doute l’une des préférées du compositeur, la version « longue » qu’il reprit : A Quiet Place, avec des éléments plus proches de la musique atonale, prouve cet attachement. Trouble in Tahiti n’est pas à proprement parler « a musical » comme tant d’autres du compositeur. Le penchant tragique est omniprésent, et les tribulations de ce couple se déchirant à quelque chose de poignant, même si certains passages demeurent de l’ordre du léger : le fameux « Trouble in Tahiti », mais aussi les interventions très « jazz » du trio.
Le chef aime son œuvre et cela s’entend d’entrée, mais il a aussi une vision toute particulière de celle-ci. Bernstein se porte du côté du drame, et laisse un peu de côté les pendants légers. Si « Trouble in Tahiti » est emplit de verve et bondissant à souhait, l’air reste un peu contrit et ne laisse pas exploser tout le côté délirant de la chose, les trio sont du même acabit. La tension est de bout en bout portée par un orchestre particulièrement clinquant, en dépit de sa taille réduite apparente.
Côté chanteur, on peut légèrement regretter le choix de Bernstein pour ses protagonistes principaux : la basse est un peu empâtée, en dépit de ses exceptionnelles qualités de siffleur, et bougonne un peu à tort et à travers. Nancy Williams n’est guère plus en forme, si le timbre n’est pas désagréable, elle demeure dans un médium quasi permanent, et sa prestation dans son « grand » air : I was standing in a garden (air de la folie ?) nous laisse sur notre faim, et il en va de même pour le si délirant « Trouble in Tahiti ». Car voilà, si Bernstein met la tension du côté du drame, les chanteurs ne suivent pas et semblent tenter tant bien que mal de suivre la partition. Du côté du trio, il en va tout autrement, les trois compères étant très en voix, et fort bien assortis.
A force de faire mi-figue, mi-raisin, l’on se perd un peu ... Bernstein avait une vision singulière de son ouvrage, vision qui ne changera pas par la suite, mais qui sera mieux desservit (A Quiet Place). Un peu grisant, un peu décevant, l’on ne s’ennuie guère, mais l’on ne palpite pas non plus !
Note : 14/20 Enregistrement : A-
Voici l’ « Œuvre », celle que tout le monde connaît, si il n’y avait qu’une, c’est bien celle là ! Qui ne connaît pas « Tonight », « Mariah », « America », et j’en passe de tous ces standards. Ce Roméo et Juliette moderne, où seul l’un des deux protagonistes trouve la mort. Ce conte que nous conte le plus grand conteur musical de tous les temps : Lenny. Il y a aussi ces innombrables musiques de scènes, ces interludes orchestraux qui concilient avec une joie réelle jazz et autres mouvances. West Side Story c’est aussi ce qui doit être l’un des airs les plus connus de tous les musicals, pour ne pas dire de tous les opéras (ils y en a d’autres ...) : « Somewhere », l’air le plus touchant aussi, l’un des plus sensuels du compositeur, un air à double sens aussi, volontairement chanté par un personnage en dehors du drame, comme si Bernstein voulait parler d’un Eldorado où seul l’amour aurait sa place, quelque soit cet amour ...
C’est la version du maître. On connaît Bernstein comme l’un des plus grands chefs d’orchestre du XX° siècle, y compris dans ses propres compositions, ici la chose n’est qu’à moitié vraie.
En fait, l’on reconnaît tout de suite la patte Bernstein, avec un orchestre sautillant à souhait, virtuose et très jazzie, aux sonorités magnifiques, et aux pupitres excellents, qui sont particulièrement mis en avant dans les danses. Le problème, si problème il y a, vient d’ailleurs. Non des excellents seconds rôles, en particulier Kurt Ollmann spécialiste de ce répertoire, à la voix toujours aussi chaleureuse, et au timbre délicat. Ni de la « super guest-star » : Marilyn Horne, chantant le seul « Somewhere », mais des deux principaux personnages.
Etait-ce par soucis de réalisme ? Peut-être, en est-il que Bernstein a décidé de choisir Carreras et Te Kanawa, deux « étrangers », un espagnol et une bulgare, pour les rôles de Tony et Mariah, tout en laissant le soin à ses propres enfants Alexander et Nina d’assurer les rôles parlés. Il aurait été plus inspirer de laisser ces deux derniers prendre les rôles chantés aussi. Car ni l’une ni l’autre des deux étoiles n’est à la hauteur, ni dans le style, auquel ils sont totalement étranger, ni dans la voix.
Carreras, à l’anglais on ne peut plus approximatif, cherche des aigus tout à fait inutiles, et de toutes manières tout à fait hors de sa portée, la voix se faisant lourde et « poitrinée », voulant se donner une puissance verdienne tout à fait hors de propos, là où justement le chant devrait se faire léger, la voix agile, et l’aigu naturel, sans pour autant être forcé (l’interprétation de Mandy Patinkin dans l’album Bernstein’s New York, en dépit de la technique tout à fait particulière de celui ci, est nettement plus appréciable).
Les mêmes reproches sont à formuler à l’encontre de la soprano, dont l’anglais est encore pire (désir de réalisme ? On en doute lorsque l’un comme l’autre cherche désespérément une articulation pointilleuse). Ajoutons à cela une voix souvent forcées, un timbre assez aigre, et des aigus trop ouvertement arrachés, n’en jetons plus. Ces deux personnes se sont trompés de porte lors de la séance d’enregistrement soyons en certains. Ceci est d’autant plus regrettable que le reste est du plus haut niveau, « Bernstein conduct Bernstein » : parfait !
Note : 14/20 Enregistrement : A
La première phrase qui vient à l’esprit en écoutant cette œuvre est : C’est quoi ce truc ? Car il s’agit vraiment d’un « truc », un « machin », un « bidule », à la croisée du rock, du jazz, du gospel, et de quelque chose de typiquement bernsteinien ! Cette « messe », commanditée par la veuve de JFK, est comme un météorite qui traverse notre atmosphère, on la voit passer, on ne peut l’arrêter, on ne peut la toucher, mais le spectacle est si beau, si féerique, si magique ...
La liste des chanteurs intervenant dans l’ouvrage est pléthorique, mais dans l’ensemble chacun est plutôt bien à sa place, même si les unités féminines pêchent par des voix plutôt aigres. Les choeurs sont en tous points des plus honorables, y compris le choeur d’enfants, aux sonorités particulièrement saillantes.
L’orchestre est mené par une baguette fervente et preste, un peu mastodontesque, mais n’était-ce pas l’effet cherché ? Là où tout est fait d’ironie, où le Kyrie ressemble à une parade de majorettes ? Saluons la prestation d’Alan Titus, célébrant à la voix chaude et au timbre flatteur, un peu contrit dès qu’il faut pousser, mais si charmant partout ailleurs.
Il est extrêmement difficile de donner une critique sur un ouvrage qui semble être si personnel, si intimement lié à la vision du compositeur. En toute objectivité, choeur et orchestre auraient put gagner en clarté, en légèreté, en précision, mais remplacer la baguette du chef sans dénaturer la partition ?
C’est honnête, pour ne pas dire plus, dans tous les cas, c’est au plus haut point agréable à écouter, mais soyez prévenu, c’est plutôt loufoque ...
Note : 15/20 Enregistrement : A
6) A White House Cantata : Scenes from 1600 Pennsylvania Avenue
C’est l’adresse de la maison blanche que le chef-compositeur américain avait choisit pour composer ce qui aller être l’une de ces dernières comédies musicales. A l’époque, l’ouvrage ne connut qu’un succès d’estime. Pourtant les scènes qui en ont été tirés et présentés sous le titre de White House Cantata montre que l’auteur de West Side Story n’avait rien perdu dans ses qualités musicales, et dans son inventivité (et son humour aussi !). Tout fait de cet ouvrage l’un des égaux de ses prédécesseurs, et rien n’explique le manque d’intérêt que cette œuvre a put connaître jusqu’alors. C’est du bon Bernstein, du grand Bernstein, avec des mélodies qui vous tiennent à la gorge tout le reste de la nuit.
Nagano, le grand défenseur de la musique contemporaine, encore à l’œuvre, mais dans un répertoire plus léger que celui auquel il nous avait habitué. Aurait-on un nouveau MTT en marche ? Cela m’en a tout l’air, surtout que le bougre s’en tire plutôt bien. La baguette est encore un rien rigide et pas très déridée (remarquez ... non, c’est de mauvais goût), mais l’on sent que le chef tient son ensemble avec entrain et bon goût.
Le LSO possède toujours cet éclatement de couleurs qui nous touche tant, et qui confirme le choix d’un John Williams pour enregistrer ses Star Wars, on lui trouve aussi une rigueur toute particulière, des plus heureuses. Les London Voices qui l’accompagnent comptent sans doute parmi les plus belles de ce côté ci de la Tamise, avec un joli sens du spectacle, indispensable ici, surtout que leur rôle est loin d’être secondaire. Les solistes ne sont pas non plus des novices peu confirmés.
En tête : Hampson, qui décidément passe avec autant de grâce d’Hamlet (de Thomas) au musical, grand bien lui en fasse, car ici on le retrouve avec joie : la voix est belle (comme à l’ordinaire), mais surtout extrêmement volage et déliée, chose nouvelle pour elle dans ce répertoire où on la savait un peu raide. En parlant de raideur, Barbara Hendricks en a également perdu et se montre ici sous son meilleur jour, faisant oublier ses problèmes de prononciations. June Anderson renoue avec sa jeunesse (et Candide, dix ans déjà ...) avec un rôle presque sur mesure pour elle : ni trop haut, ni trop bas, juste là où elle est au mieux !
Les ténors sont parfaits, avec un Neil Jenkins drolitissime au possible en amiral Cockburn (pour ceux qui connaissent l’anglais ...). On a aussi un soprano enfant, qui est ma foi des plus respectable, avec une projection à faire pâlir certaines ...
Vous l’avez compris : on se jette sur ce disque sans attendre, au pas de course, allez, zou !
Note : 18/20 Enregistrement : A
C’est œuvre méconnue de Britten fait partie des broadcast pour la radio, ces émissions radiophoniques de la BBC auxquelles Britten participait régulièrement (entre autre « King Arthur »).
L’œuvre en elle-même est inspirée de L’Odyssée d’Homère. Le rôle du narrateur est capital, c’est lui, en l’occurrence elle : Athena, qui déroule la trame de l’histoire ; les intervenants chantant sont là en tant que « instrument » supplémentaire à la riche orchestration voulue par Britten. Ce Broadcast ressemble plus à un long poème symphonique sur lequel a été greffé des éléments narratifs, qu’à une œuvre réellement conçue autour d’un texte évolutif. La musique est flamboyante, comme dans la majorité des broadcast lorsque Britten s’attaquait à un large public, et est un pur petit bijou.
Nagano dans son élément, ou comment magnifier une composition. L’orchestre ici a la part belle, et c’est cet orchestre qu’il faut écouter, une pâte sonore magnifique, une réponse splendide au chef, dont la direction sûre rend honneur à la musique jouée. Un orchestre irréprochable.
Kent Nagano a sut trouver en Dame Janet Baker la plus accomplie des récitantes, à l’anglais impeccable, et à la diction précise et claire, faisant vivre chaque ligne de son texte. Les chanteurs, qui ici ont un rôle mineur : des instruments supplémentaires en somme, des appendices à l’orchestre ; sont en tout point excellents. On saluera particulièrement le toujours parfait J. Mark Ainsley, et la jeune soprano Alison Hagley dont les interventions sont délicieuses.
Une interprétation idéale d’une musique splendide, par trop méconnue.
Note : 18/20 Enregistrement : A
Voilà bien une œuvre curieuse. Dédicacée à Dame Janet Baker, cette oeuvrette s’apparente au genre de la cantate profane, l’orchestration en est néanmoins assez particulière, et ne ressemble pas aux ouvrages habituels de Britten. La caractérisation principale de la musique est le singulier et apparent chaos qui en émane, caractérisant l’état psychologique du personnage avec une justesse remarquable. L’œuvre, bien que fort intéressante, n’est pas, selon moi, du meilleur de Britten, et le tout passe sans que l’on soit profondément émus.
La direction de Nagano, et la qualité de l’orchestre sont irréprochable ; on ne viendrait que titiller sur un clavecin aux sonorités quelques peu étranges (accordé au La 440 ?). On regrettera néanmoins un certain manque de dynamisme de la part du chef occasionnellement. La voix de Lorraine Hunt est parfaite ici, même si l’étendue vocale exigée n’est pas importante, on ne lui reprochera qu’une certaine monotonie apparente dans l’émission.
L’interprétation est de qualité mais ne laisse pas un souvenir intarissable.
Note : 14/20 Enregistrement : A
3) Les Illuminations - Nocturne - Sérénade
On a toujours associé ses trois œuvres aussi bien au disque qu’en concert, il est vrai qu’elles sont de caractères voisins : dédiées à l’ami Peter Pears, elles font appel à l’orchestre au grand complet tout en gardant le caractère intimiste des « songs ».
L’enregistrement pourrait être historique, il l’est en un certain sens, car voici le dédicataire de l’ouvrage avec au commande le compositeur. Si la direction de Britten est d’une souplesse, et d’une justesse remarquable, si l’orchestre sonne d’une manière tout à fait radieuse, si les qualités intrinsèques de Pears en tant que chanteur sont bel et bien réunis ; le timbre de ce dernier, si caractéristique, plus proche du baryténor que du ténor, ternit quelque peu la romance et la délicatesse que ses pages dégagent.
Certes, cela est affaire de goût, j’en conviens ; mais une voix plus délicate, moins rugueuse, plus souple dans les aigus, aurait été de meilleur augure. N’en demeure pas moins le métier de chacun, le chanteur et le chef, et la complicité évidente qui lie les deux. La rencontre est historique, mais la poésie est quant même ailleurs.
Note : 14/20 Enregistrement : A
Le jeune ténor fait étrangement penser à Philip Langridge dans ses intonations et les inflexions de sa voix, le métier en moins. Si la voix est plus agréable, et mieux placée en hauteur que celle de Pears, Thompson ne possède pas l’expressivité de son aîné et ne parvient pas à dégager de ses pages toute la beauté qu’elles recèlent, serait ce une question de temps ? On l’espère car les possibilités de ce chanteur sont sans aucun doute très grande.
L’accompagnement de Day-Lewis est correct, un simple « accompagnement » en somme, de plus la prise de son n’a fait aucune concession à l’orchestre, noyant l’ensemble, cor compris dans la sérénade, dans une brume très londonnienne.
Note : 13/20 Enregistrement : A
Avouons le, c’est celui que l’on attendait. Qui d’autre que le ténor britannique pouvait aussi bien chanté ses pages emplies de sensualité ? La voix est radieuse, délicate, sautillante, veloutée, tendre, mordante lorsqu’il se le doit. En un mot : divine. Heureusement que l’orchestre ne vient pas gâcher tel bonheur !
Le Britten Sinfonia semble avoir gardé intact l’âme de son émule, et avoir trouvé en la personne de Cleobury le simple intermédiaire entre le monde des vivants et celui des morts. Les réserves ne sont que pures formalités ...
La version indispensable.
Note : 20/20 Enregistrement : A
Il s’agit ici de la réinstrumentation du célèbre opéra de John Gay, qui poussa plus ou moins Händel à s’attaquer a des oeuvres en langue anglaise (rappelons que lui et Gay étaient de vieilles connaissance de « table », tout deux nés en 1685). Le travail effectué par Britten est loin d’être négligeable, et d’une œuvre typiquement baroque (qui se voulait une satire des ouvrages seria de son temps) il en tire quelque chose de tout à fait nouveau, où le baroque a cédé sa place à un son typiquement britténien où le côté « Old English » prédomine, et où la truculence des situations reste toujours de mise (même deux siècles plus tard).
Bedford est un fervent défenseur de la musique de Britten, et ses interprétations sont toujours dans le parfait esprit du maître anglais. L’orchestre contacté a cette occasion, une formation de chambre, sonne comme s’il était double de taille, et ses sonorités sont des plus charmeuses ; la justesse du propos et l’engagement dont les instrumentistes font preuves sont exemplaires.
Il en va de même des solistes, avec l’excellent Philip Langridge, lui aussi vieux routier en terre britténienne. Si la voix est toujours un peu raillé, le ton, le maintien et le timbre reste des plus adéquats à cette musique. Ses partenaires, aussi bien masculins, que féminins sont du même acabit, avec une mention spéciale pour Ann Murray, nettement moins désagréable ici qu’ailleurs.
Bedford signe ici l’un des enregistrement de références, même si on aurait aimé un peu plus de nervosité de ci de là, mais vu l’aridité de la discographie dans ce domaine ...
Note : 16/20 Enregistrement : A
Une œuvre entièrement masculine ... n’en disons pas plus et laissons les esprits cogiter. Le fait est que la musique parle pour elle même et le tourment qui enchaîne le capitaine Vere pourrait être celui de n’importe lequel d’entre nous, car tous, autant que nous soyons, avons un jour été un Vere, contraint de prendre une décision à contre cœur. Britten évoque la mer, et les marins, comme un vieux boucanier, on retrouvera ces qualités d’ailleurs dans Peter Grimes. Les grands scènes de foules sont prodigieuse de dramatisme, comme d’ailleurs l’ensemble de l’ouvrage, et en parfait compositeur anglais, les climax sont nombreux et toujours porté à leur paroxysme. Les critiques de l’époque n’apprécièrent pas la première mouture de l’ouvrage, comparant certains passages (notamment la fin du premier acte avec l’apparition de Vere) à du Gilbert and Sullivan, ils avaient manifestement rien compris ; tout comme la naïveté plus ou moins feinte du pauvre Budd qui les avaient « amusés ». L’histoire leur donnera assurément tort, car Billy est l’un des opéras les plus marquant du XX° siècle, et un chef d’œuvre incontesté.
La liste des chanteurs est impressionnantes, mais saluons d’abord celui qui a porté ce projet à bout de bras. Engagé depuis longtemps dans la défense de la musique du vingtième siècle (et du XXI à venir) Kent Nagano a réunit de lui ce que l’on appelle une « équipe », et pas l’habituel « cast » des studios d’enregistrement. Tous vivent leur rôle, et cela se sent, s’entends. Nagano dirige avec un punch, une délicatesse, une tension, un brin de mélancolie, de tristesse, de colère, une musique que l’orchestre du Hallé sublime par ses timbres protéiformes.
Les solistes sont tous ébouriffant et confondant de naturel, avec deux mentions spéciales : Rolfe-Johnson tantôt déchirant, tantôt héroïque ; et Thomas Hampson qui tient là l’un de ses meilleurs rôles. Les deux choeurs réunis ici sont parfaits, et tout aussi engagé que leurs collègues, les solistes du Boys choir sont d’ailleurs particulièrement remarquable de par la maturité de leur timbre.
Tout ceci est réjouissant et nous laisse espérer que Nagano se remette bientôt à Britten.
Note : 18/20 Enregistrement : A
Quand Britten, ce compositeur excellemment british, se prend pour un américain ! Assurément cela surprend, et pourtant ... Paul Bunyan fut à l’origine composé en vue d’être interprété par des lycéens (comme le Second Hurricane de Copland), ce qui expliquerait en partie la légèreté de la partition (à tous points de vue). Mais la portée de l’œuvre n’est pas aussi limité que l’on pourrait le croire, car en fait, outre le côté « américanisant » de l’ouvrage : à savoir la valorisation d’une certaine étique de la société (l’individu dans la collectivité), Britten a réussit un véritable tour de force en effectuant un splendide amalgame de tout ce que la culture anglo-saxonne peut compter comme diversité. Une diversité interne aux Amériques tout d’abord, avec ce jeu sur les accents divers et variés que l’on peut y trouver, mais aussi une diversité en incorporant à un langage musical typiquement britannique des balades résolument américaines. On peut trouver l’ouvrage trop léger, indigne des oeuvres ultérieures du compositeur, je trouve au contraire que c’est à la fois un jalon vers l’avenir, mettant déjà çà et là à profit des idées qui se développeront par la suite, et une pierre angulaire dans l’avènement de l’un des plus grand compositeur anglais du XX° siècle.
Septembre 1999 voyait la réouverture du Royal Opera House de Covent Garden après travaux d’embellissement et de restructuration, pourtant ce n’est pas dans cette vénérable maison qui accueillit cette production enregistrée sur le vif, c’est au Sadler’s Wells que l’équipe réunie par Hickox, ce grand défenseur de la musique anglaise, a exposé cette perle perdue de Britten.
C’est bien une équipe qui a été réunit, peut être pas le fleuron des chanteurs britanniques du moment, peut être pas non plus les meilleurs britténiens, mais une belle équipe quand même. Paul Bunyan est un rôle parlé que Hickox a décidé de confier à l’acteur Kenneth Cranham. Si sur scène l’impact doit être important, le disque ne lui rend pas justice, et la voix éraillée de l’acteur lasse aisément, on ne dira jamais combien le jeu d’un acteur entre en compte au théâtre, plus qu’à l’opéra où le chanteur s’appuie essentiellement sur sa voix, or, ici, il s’agit d’opéra ... L’on sent néanmoins les qualités de jeu de Kenneth Cranham, et la voix porte loin dans la salle, ce qui n’est pas désagréable.
Côté chanteur, nous avons un peu de tout, des acteurs chanteurs, et des chanteurs acteurs (du moins un peu ...) Dans l’ensemble ils sont tous à la hauteur de leur tâche avec six lauréats : le « narrator » Peter Coleman-Wright au baryton des plus agréables dans les ballades ; le ténor Kurt Streit, parfait dans ses lignes non vocalisantes (on sait combien il les craint) ; le ténor Timothy Robinson, entendu récemment dans l’Alcina de Händel avec Christie, visiblement plus à l’aise ici ; la basse (très basse !) Jeremy White d’une truculence délicieuse ; Susan Gritton d’une délicatesse infinie, et enfin Lilian Watson, le chien le plus mignon qui soit (je vous laisse découvrir le livret pour comprendre).
L’orchestre soutient à ravir les chanteurs, et le choeur, aux nombreuses interventions, est en un mot parfait. La direction de Hickox est comme à son habitude énergique et gracieuse à la fois, faisant ressortir les moindres aspects d’une musique très variée, où les passages divertissants alternent soudainement avec des tons plus sérieux.
Une fort belle interprétation d’une œuvre par trop dénigrer par le passé.
Note : 16/20 Enregistrement : A (Live)
7) Variations and Fugue on a Theme of Purcell (The Young Person’s guide to the Orchestra)
Outre le caractère « scolaire » que l’ouvrage peut revêtir à certains égards, la chose qui frappe le plus est l’inventivité harmonique dont le compositeur anglais a su tirer du passage cité de Purcell, que l’on sait qu’il appréciait grandement l’œuvre. La musique est de bout en bout passionnante, tout à fait dans la lignée des grands interludes d’opéras, auxquels l’ouvrage est d’ailleurs souvent couplé. Une inventivité débordante, de l’harmonie, de l’orchestration, tout ici concoure à faire de cette piécette l’un des ouvrages de chevet de tout britténien, et de tout mélomane d’ailleurs.
Le chef américain a peut enregistré Britten, dans un sens cela peut être dommage dans un autre non. Bernstein est un grand, cela personne ne contredira cet état de fait, mais de temps en temps ses prises de partie peuvent être préjudiciable. On sent tout de suite que ce terrain n’est pas trop le sien, et Bernstein ne se libère pas suffisamment, alors que la musique l’y incite. Il se la joue plutôt sérieux, ce qui entre parenthèses ne lui ressemble guère. Il y a trop souvent de la retenue, de la suffisance aussi. La musique chante, sourit, mais timidement.
Le New York Philarmonic n’est pas dans ses meilleurs jours, mais il reste un orchestre de tout premier plan, et développe une foule de coloris chatoyante. Bernstein obtient de la grandeur, de la majesté, et de l’aristocratie de ses pages ; on aurait aimé quelque chose de plus léger, de plus guilleret. Encore, c’est une histoire de goût, cette interprétation a de la classe, une grande classe, mais elle demeure un peu coincée ...
Note : 15/20 Enregistrement : A
Ou comment un compositeur peu connu s'est vu redécouvrir grâce à une pub !
1) Jazz Suite N°2 (suite for Promenade Orchestra)
Le moindre quidam disposant de la télévision connaît la 2° valse de cette suite Jazz, mais toute l'œuvre est digne d'intérêt et est des plus enivrante, et ce serait que grande injustice si le souvenir populaire ne laisse qu'un seul extrait dans sa mémoire.
i) Riccardo Chailly Royal Concertgebouw orchestra
La direction de Chailly est vigoureuse à souhait et défend particulièrement bien cette musique virevoltante et endiablée. Le Royal Concertgebouw n'a pas toujours les plus belles et adéquates sonorités pour ce type de musique, mais l'ensemble est de la plus belle des factures.
Une interprétation qui rend honneur à la musique du compositeur russe.
Note : 17/20 Enregistrement :A 17/02/2001
On peut l’appeler un « oublié » de l’histoire, pourtant, plus que quiconque, Aaron Copland fait partie intégrante de la grande saga musicale, et non seulement sur le continent américain mais de part le monde. Il est regrettable que sa musique est tant de mal à se faire connaître, pour ne pas dire reconnaître. Et pourtant, que de talent, que d’inventivité ... Celui qui fut le mentor de Léonard Bernstein est un grand parmi les grands.
A l’origine il s’agissait du Ballet for Martha, avant de prendre l’appellation de « Printemps dans les Appalaches ». L’œuvre apparaît comme un grand poème symphonique, aux mélodies simples, et si touchantes, à la tendresse bucolique et à l’agitation frénétique. On semble se promener parmi ses montagnes de l’est américain, au travers des branchages des grands arbres, suivant les vallons et les cours d’eau qui les creusent, s’arrêter pour contempler l’envol d’un oiseau, avant de devenir cet oiseau et survoler ces paysages féeriques. La musique de Copland est tout cela à la fois, un bonheur simple, et grandiose.
L’élève interprétant la musique du maître, alors que l’élève était déjà lui même un maître. Quelle heureuse rencontre que celle de Bernstein et Copland, le choc de deux génies pourraient-on dire, même si le choc était une fraternelle amitié. A la tête du NYP, Bernstein fait vivre cette musique avec une verve, une poésie, et une délicatesses infinies. La musique vibre, et transcende les simples notes, elle nous parle au plus profond de nous. Le NYP possède tous les charmes pour interpréter cette musique ci, les cordes frétillent, les cuivres sont cinglants, les bois sont exquis de tendresse.
Un bijou interprété par un joaillier.
Note : 20/20 Enregistrement : A
On enregistre essentiellement les principales scènes tirées de ce ballet « western », le second après Billy The Kid. Copland y déploie tout un panache de mélodies de l’ouest américain qui semblent extrêmement familières à l’oreille, on reconnaît aussi quelques rengaines irlandaises de ci de là, et il multiplie les clins d’œil comiques à l’adresse des amateurs de grands westerns (l’œuvre date de 1942), comme pour montrer qu’en dépit de la guerre la vie continue.
Il est clair que tout commentaire sur des oeuvres de Copland dirigées par Bernstein va sembler redondant, tant on ne trouve rien de désagréable à dire sur l’exécution ... Comment critiquer la perfection ? Voilà une excellente question, si vous avez une réponse, faîtes moi signe. Le NYP est d’un tonus exemplaire, et son « jeu d’acteur » est irrésistible de drôlerie, écoutez donc les cuivres (surtout la trompette solo, un régal). Plongez sans hésitation dans ce tourbillon de bonne humeur, qu’un petit brin de nostalgie recouvre.
Note : 20/20 Enregistrement : A
C’est le premier ballet western du compositeur, et le premier expressément composé sur ce thème. La suite qui en a été tirée pour la plupart des enregistrements modernes se présente sous la forme de tableaux successifs nous dépeignant la vie de Wild Bill Hickock, dit Billy the Kid. La musique fait appel à une myriade de mélodies tirées du folklore ouest américain, tout en leur conférant un lyrisme tout particulier. Moins « déjantée » que le Rodeo qui suivra (Billy date de 1938, un an avant la Chevauchée Fantastique de John Ford) l’oeuvre est tout aussi touchante.
Le juste équilibre entre délicatesse et grand déploiement sonore a été trouvé ici par Léonard Bernstein, qui laisse ainsi s’exprimer entièrement le « romantisme » de la partition, mais aussi son côté torturé (cf la Gun Battle). On ne trouve pas ici le caractère terriblement railleur que Rodeo revêtira par la suite, quelques passages sans plus, et en cela l’orchestre semble terni, ne pouvant pas mettre en avant tout son éclat. Pourtant la mécanique tourne à ravir, et l’on écoute avec un immense plaisir ces pages de pur délice.
Note : 19/20 Enregistrement : A
Les oeuvres théâtrale de Copland sont rares, outre le présent « Play Opera », il n’a composé qu’un seul autre ouvrage scénique : A tender Land ; et l’on ne pourra à l’écoute des présentes pages, que regretter cette aridité dans ce domaine. Cet opéra « théâtral », comme on en faisant tant dans l’Angleterre du XVII° (The Fairy Queen par exemple), est un véritable petit bijou. Destiné à des élèves d’une école de musique (des adolescents) l’œuvre préfigure nombres d’ouvrages ultérieurs, de Copland, mais aussi d’autres compositeurs. Ainsi, si quelques lignes de ce qui deviendra l’introduction de Appalachian Spring peuvent se deviner, d’autres passages rappellent nettement les grands choeurs du Candide de Bernstein (admirateur de Copland), ou encore une œuvre très similaire : The Little Sweep (Let’s make an opera) de Britten, elle, destinée à de plus jeunes interprètes. Si l’histoire peu prêter à sourire, elle permet de passer en revue un ensemble assez impressionnant de sentiments, et donc est autant d’occasion de faire varier le climat. Un petit bijou, emplit d’une juvénile réjouissance.
Bernstein et Copland, une longue histoire d’amour ; Léonard n’a pas voulu briser la convention, et conformément aux voeux du maître, l’enregistrement de l’ouvrage s’est effectué avec des élèves d’une école de musique, perdant en qualité, mais gagnant en fraîcheur. Et c’est bien cela qui marque cet enregistrement, la fraîcheur, et la juvénilité ; l’engagement aussi.
Le New York Philarmonic est en moyenne forme, et semble ne pas vouloir trop bousculer ses jeunes camarades. En fait, la faute en revient un peu au chef, très soucieux des solistes et des choeurs, et délaissant un peu l’orchestre. En cela, le travail de Bernstein en chef de choeur est exceptionnel, certes la partition ne comporte guère d’embûches, mais la lisibilité et la clarté des chanteurs sont exemplaires. Les solistes sont sommes toute moyen, mais leurs parties sont assez limitées. A noter néanmoins le beau baryton de John Richardson, et l’excellent narrateur résumant les parties qui auraient dû être jouées sur scène : Bernstein himself !
Un enregistrement respectable d’une œuvre qui mériterait d’être plus souvent jouée, et pas seulement dans des lycées de la lointaine Amérique.
Note : 15/20 Enregistrement : A-
L’œuvre est grandiose, à l’image d’une grande partie de l’ouvrage du maître. Elle est aussi tel un diamant aux multiples facettes : tantôt tendre et attendrissante, tantôt furieuse comme un torrent en crue. Et la réminiscence dans le dernier mouvement de la Fanfare for a Common Man, sublime l’ensemble et lui donne un point d’orgue tout à fait à propos.
N’y a-t-il eut que Bernstein pour enregistrer les ouvrages de son mentor ? On pourrait bien le croire à voir la pauvreté de la discographie actuelle, mais réjouissons-nous car l’élève est un grand partisan du maître et un brillant interprète.
Bernstein met en avant les plus belles couleurs de son incroyable orchestre, dont les ressources semblent inépuisables. Les interprètes s’investissent tout entier dans cet musique vivifiante, mais l’on trouve le tout un peu trop pesant néanmoins, le chef jouant essentiellement sur le gigantisme de la masse orchestrale mise à profit ici, alors qu’un brin de vigueur aurait été de mise.
Ne nous plaignons pas, nous avons quand même ici une fort belle interprétation, ce plaisir là est trop rare, ne le dédaignons pas.
Note : 15/20 Enregistrement : A
6) Symphony For Organ & Orchestra
Voilà une composition assez étrange, où se jouxtent divers styles et genres. Au final l’œuvre est assez composite, et l’impression qui domine est d’avoir écouté plusieurs petits poèmes symphoniques mis bout à bout sans réels fil conducteur ; si ce n’est dans le dernier mouvement assez terrifiant dans sa facture et qui conviendrait aisément pour n’importe quel bon film d’horreur.
Bernstein fait montre d’une agilité pour passer d’un ton à l’autre assez exquis, sa direction est sûre, pertinente, et nous donne le frisson dans le dernier mouvement. Frisson que l’orgue de Power Gibbs ne fait que mettre en exergue de par ses sonorités à la fois étranges et racées. Le doigté de l’organiste est exemplaire, et il en faut pour ses pages bondissantes qui peuvent très vite tourner au calvaire.
On pourra peut être reprocher seulement au chef d’y aller « un peu fort » du côté du spectaculairement macabre, mais n’était-ce pas là le point de vue du compositeur ? Tout cela est question de goût, ce qui est une certitude c’est que le chef ne démérite pas son titre de plus grand chef américain du XX° siècle.
Note : 16/20 Enregistrement : A
7) Récital Dawn Upshaw : The World so Wilde
Airs de Copland, Adams, Bernstein, Leon, Moore, Weill, Barber, Ffloyd
J’ai choisit de classé ce récital sous l’index de Copland pour l’unique raison que la dernière phrase de l’air extrait de son opéra « The Tender Land » : Laurie’s Song, interprété ici, donne son titre à l’ensemble. Ce qui nous est présenté ici est assez représentatif de la composition opérastique américaine d’après-guerre, en faisant abstraction des musicals. Les oeuvres ne semblent à priori rien avoir de commun entre elles, pourtant les airs choisit mettent tous en exergue l’exceptionnel talent mélodique dont les américains sont pourvus. Un danger néanmoins est enfermé ici : les airs choisis ne sont guère représentatifs des oeuvres elle-même, dans la majorité des cas. Ainsi l’air extrait de l’opéra The Scourge of Hyacinths, est à peu près l’unique passage mélodique de l’opéra, plus ou moins proche de l’atonalité, de même pour l’air extrait de Nixon in China, petit représentant du mouvement minimaliste. Broutilles que tout cela, car le programme ainsi bâti est en tout point magnifique.
On connaissait l’orchestre de St Luke’s grand spécialiste de la musique de notre temps, il nous le confirme une nouvelle fois ici, avec la baguette intelligente et très fine de David Zinman. Le ton est doucereux, les percussions modérées, mais le tout est d’un maintient des plus remarquables.
Et enfin, un Ange passe ... Dawn Upshaw. Un voix radieuse, douce comme le velours, délicate et tendre comme un rayon de soleil au crépuscule. Loin des grandes divas, mademoiselle Upshaw reste la simplicité même, partageant avec nous ces quelques instants de grâce, non comme une interprète, mais comme une auditrice à nos côtés. La magie de ces mélodies envoûtantes, cette voix séraphique, aux égaux pondérés, mais aux graves soyeux, tout contribue à nous laisser bercer, oubliant le monde extérieur, ce monde si vaste ...
Note : 19/20 Enregistrement : A
Qui ne connaît pas le célèbre auteur de Porgy & Bess, ce musical qui fit frémir la puritaine Amérique ? Gershwin est un compositeur de musical, et dans ce domaine, c’est un compositeur de génie. Capable de trouver en un tour de main une mélodie qui ne nous lâchera plus toute la journée durant, nous la faisant siffloter à tue tête, et nous donnant irrémédiablement l’envie de la réécouter, Gershwin connaît la vie, et il sait que rire est la meilleur thérapie contre tous les maux de la société. Quelqu’un qui à chaque note nous donne encore plus envie d’écouter la suite est génial, non ?
C’est l’un des plus célèbres, on rit beaucoup ici, et ces histoires de « coeurs » valent n’importe quel Marivaux. Les mélodies foisonnent, les ensembles sont proprement irrésistibles. Aussi délicieux qu’un verre de gin ... Ecoutez, vous comprendrez !
Mais quelle belle tête d’affiche ! Deux splendides chanteurs, spécialistes de ce type de répertoire. Ollmann est habitué au musical, et ses qualités sont particulièrement mise en avant ici, la voix est splendide, et la dextérité dont il fait preuve est tout à fait exceptionnel, que se soit ici ou chez Bernstein, les planches de Broadway, c’est son truc. Et Upshaw ... que dire d’une voix si belle, si parfaite ? Cela lui va aussi comme un gant, et ses songs sont de purs moments de bonheur.
Mais le reste n’est pas mal non plus, avec en tête le ténor Patrick Cassidy excellent en tout point, avec une voix d’une fluidité rare, et un timbre extrêmement chaleureux. Notons l’apparition de Adam Arkin, acteur de la série télé « Chicago Hope » (de David E. Kelley) qui semble avoir suivit l’exemple de son partenaire à l’écran Mandy Patinkin (chantonnant déjà à l’écran) qui s’est illustré dans l’album « Bernstein’s New York », aux côtés des mêmes protagonistes de tête. Arkin, à la vérité chantant totalement faux ou presque, est d’une truculence extrême, et colle à merveille avec son personnage.
Tout ce beau monde est conduit tambour battant par un « champion » du musical : Eric Stern, qui à la tête de son orchestre de St Luke’s nous offre un moment grandiose, tout simplement !
Note : 20/20 Enregistrement : A
Sans doute l’œuvre de Gershwin qui connu le plus grand succès, aux côtés de Porgy & Bess, succès basé essentiellement en fait sur l’équipe de la création : Fred et Adèle Astaire ... Car si la musique est d’une grande richesse mélodique, comme presque partout chez Gershwin, elle semble être en deçà d’autres ouvrages tel « Oh Kay ! », tout en restant néanmoins des plus agréables.
La liste des chanteurs est pléthorique et aucun d’entre eux ne fait partie des grandes pointures du classique, néanmoins ils sont tout à fait en « règle » avec la musique de Gershwin, et si aucun ne possède de voix exceptionnelle, tous sont parfait dans ce répertoire, avec deux palmes : une pour Jason Alexander au baryténor chaleureux, et John Pizzarelli à la voix charmeuse à souhait. Mais ces palmes pourraient être portées sur le front de chacun de ces chanteurs, tant leur travail d’équipe est à saluer.
Stern est friand de ce type de musique, et les musicals de Gershwin ne semblent plus avoir de secret pour lui, il emmène tout ce joli monde tambour battant, avec grâce, jovialité, tendresse aussi, sur un ton jazzie à souhait (que la partition amplifie à plaisir). L’orchestre réunit pour l’occasion est à la hauteur des aspirations du chef, et les deux pianistes improvisateurs (Steven Blier et John Musto) sont subliment.
On regrettera peut être de vraies belles voix (on sait que Stern s’en préoccupera par la suite avec Oh Kay) et aussi un certain « train-train » du chef, qui souffre visiblement de ne poouvoir nous montrer son spectacle sur scène. Un très bon moment, en compagnie d’un des plus grands du musical des années 20.
Note : 17/20 Enregistrement : A
Prolixe compositeur américain, Gould s’est adonné à de nombreux genres tout en gardant un faible pour le musique de films, quasiment inconnu en France, il mérite à être découvert.
1) Forster Gallery
On l’entend dès les premières mesures, cette œuvre est typiquement, pour ne pas dire un archétype de la musique, américaine. Sur le thème très connu « Oh Susanna » Gould a sut créer une variation en treize tableaux aussi divers que variés où le leitmotiv de la célèbre rengaine fait son apparition de ci de là par petites touches savamment dosées. L’ensemble allie à la fois la douceur et la tendresse à une forme de rudesse qui n’est pas sans rappeler l’image traditionnelle du cow-boy. Un savoureux panaché de ce que la musique américaine peut nous offrir.
De la musique américaine jouée par des russes ... Cela peut paraître quelque peu surprenant, mais au final le résultat est loin d’être décevant.
Les forces ukrainiennes ne sont peut être pas les plus à même pour donner une lecture typiquement « nationalisante » de cette musique estampillée Made in USA en lettres d’or, mais il faut leur reconnaître qu’en matière de musique « nationaliste » les soviétiques ont toujours été très forts, et ce ne sont pas les grands ensembles aux allures de pachydermes qui leur font peur ; eux aussi ont leur big bang, à leur manière ...
La direction de Kuchar est dosée juste comme il se doit, même si elle reste un peu uniforme et ne réussit pas toujours à mettre particulièrement en exergue tel ou tel motif, mais les forces dont il dispose n’appellent dans l’ensemble que des louanges. Il y a bien quelques faiblesses de ci de là, des petits ratés, mais ceci laisse prévoir un heureux retour aux grandes années où l’on pouvait avoir une confiance presque aveugle dans les orchestres de l’est.
Une belle interprétation d’une musique dont la légèreté est le mot d’ordre.
Note : 15/20 Enregistrement :A 28/01/2001
L’on redécouvre petit à petit des ouvrages de l’ère baroque, et grand bien nous en fasse, mais l’on oublie bien souvent de découvrir des choses qui ne sont pas très éloignées de nous, au niveau temporel j’entends. Il en est ainsi de Ferdinand Von Grofé, connu sous le nom de Ferde Grofé, ou plutôt « inconnu ». Car en dehors de son pays natal (les Etats-Unis), peu ou prou personne ne le connaît. De la même veine que la musique de son compatriote Aaron Copland, Grofé fut aussi compositeur de musique de film, et ceci explique peut être le côté très « hollywoodien » de ses compositions, partisan du grand spectacle musical.
Composé à l’occasion de l’inauguration d’une centrale électrique sur les chutes du Niagara en 1961, Grofé signe ici une partition tout en puissance. La force des eaux déferlant du haut des pentes, mais aussi la puissance des turbines de la centrale, jouant d’effets d’orchestre simplement prodigieux, le premier passage : Thunder of the waters vous fait plonger tout entier dans les cataractes, quitte à vous y noyer. Une musique extrêmement visuelle, qui vous prend à la gorge, et ne vous lâche plus.
On commence à bien connaître l’orchestre de Bournemouth, l’une des grandes formations anglaises, sa prestation dans le Belshazzar Feast de Walton était des plus honorables. Cette orchestre prendrait-il la succession du LSO pour ce qui à trait aux partitions hautes en couleurs ? C’est bien partis pour, on le dirait. Mais réussira-t-il à égaler son compatriote ? La question reste ouverte.
Si nous n’étions que moyennement convaincu par le Walton précédent, et agréablement surpris par des symphonies de Vaughan Williams de très belle tenue, reconnaissons que cette fois-ci, nous somme assez extatique, surtout en vue de l’avenir . Car l’orchestre ne cesse de s’améliorer, en précision et en couleur orchestrale. Les cordes ont gagné en moelleux, les cuivres pétillent, et la percussion se libère. Fort réjouissant donc que tout cela, et vivement la suite !
Du côté du chef, on aurait pu mieux trouver ... Mais pour défendre une musique si peu défendu, Stromberg est un stratège de premier choix. Sa baguette est sûre, les passages en Technicolor lui vont comme un gant, les moments de calme un peu moins (heureusement ils sont rares), son sens du rythme est des plus aguerris, et il mène sa barque comme un bon capitaine.
Loin d’être une référence, l’enregistrement est néanmoins hautement recommandable, et recommandé ! A noter les efforts de prise de son de la part de Naxos ...
Note : 15/20 Enregistrement : A
1) Carmina Burana
D’Orff, le public ne connaît que cela. Cette gigantesque fresque néoclassique, bourrée d’un humour à peine déguisé, dans une veine qui rappelle forcément Stravinsky, est tout ce que le monde à retenue de celui qui fut l’un des plus grands pédagogues musical de son temps (la partition qu’il arrangea de l’œuvre pour piano et percussion est l’ouvrage le plus joué dans les écoles de musique). Si le reste de la production est assez hermétique, les Carmina demeurent sans aucun doute l’une des pièces les plus populaires du XX° siècles. Débordante de vitalité, la musique sait allié légèreté et grandeur en un tour de main.
Cela commence à dater (1968), mais l’on n’a jamais fait mieux depuis ! Jochum signe là LA version des Carmina, faisant voltiger les notes dans tous les sens, ou s’attardant avec une exquise suavité sur les passages poétiques. Il faut dire que l’orchestre sonne de ses plus beaux atours, cuivres, vents, et percussions nous enjôlent, même si les violons sont un peu aigres.
Le bonheur vient essentiellement des chanteurs. D’abord le choeur, et celui d’enfants, tous deux excellents, d’un engagement et d’une verve inouïs : les pianos sont des pianos et les fortissimo ... très forte. Ensuite les solistes. La basse est simplement géniale, Fischer-Dieskau au sommet de son art, déjouant les nombreuses chausse-trappes d’une partition hardie. Ensuite Gundula Janowitz, d’une délicatesse radieuse ; sans oublier le truculent Stolze qui nous offre le plus beau canard (pardon : cygne) laqué de la discographie.
Une perfection souvent imitée, jamais égalée ...
Note : 20/20 Enregistrement : A
Avouons que chez Stravinsky il y a toujours un petit quelque chose de bizarre, un petit truc qui nous fait nous demander s’il ne prenait pas de régulières consultations chez un psy. Le Rossignol ne déroge pas à la règle. Stravinsky sait être ironique, ici, comme par ailleurs dans The Rake’s Progress, il nous le démontre une nouvelle fois. Si le premier acte lorgne faussement, mais assez nettement du côté de Rimski Korsakov, les deux autres sont plus personnels.
Pour être franc, l’œuvre ne m’a guère enthousiasmée, le ton d’ensemble étant selon moi trop convenu, trop « rimskisivé », à force de parodie on tombe dans un plagiat involontaire. En dehors de quelques passages tel l’air du Rossignol devant l’empereur ou la marche chinoise, l’ensemble laisse un arrière goût d’inachevé.
La direction de Conlon aurait put être plus nerveuse, plus en contraste ; les différents climats voulu par Stravinsky ne sont pas réellement mis en exergue, et le tout paraît enveloppé de limbes opaques à tout sursaut de vitalité ; d’où l’impression première d’ennui qui peut se dégager de l’ouvrage. Pourtant, dieu sait que Conlon avait mis nombre d’atouts de son côté.
Tout d’abord l’orchestre et le choeur de l’opéra de Paris, qui ne souffrent nulle faiblesse ; ensuite les solistes, la radieuse Natalie Dessay en tête, qui sont tous de très haute tenue. Pourtant rien n’y fait, l’ennui gagne du terrain à chaque plage, seul le chant enchanteur du Rossignol nous fait ouvrir une paupière.
Mais que diable ! Plus de vie, plus d’entrain, en un mot : plus de musique !
Note : 14/20 Enregistrement : A
Là aussi du grand Stravinsky, mais du vrai ! Pas de plagiat, pas de parodie, si ce n’est une grosse farce burlesque, comme les russes en raffolent tant. On croirait entendre de la musique de film ou encore mieux : de la musique de cirque. Cela saute, cela bondit, cela rit, cela pleure aussi (de rire, bien entendu). On ne s’endort pas un instant.
Couplé avec le Rossignol, l’œuvre présente les mêmes défauts et les mêmes qualités que son compagnon : Conlon n’entre pas dans le jeu. Sa direction est certes fort assurée, mais la vie, l’entrain, n’y sont pas, et ceci malgré toute la vigueur que peut y mettre les solistes, rien n’y fait ; la pâte ne veut pas prendre.
Décidément le nouveau chef de l’Opéra de Paris devrait se cantonner dans des domaines moins agités, moins delirium tremens, on se souvient de sa splendide « Madame Butterfly », et laisser à d’autres ces excès de bonne humeur.
Note: 15 / 20 Enregistrement: A
Encore une de ses oeuvres bizarres que l’on doit au génial Igor. Si la première écoute fait immédiatement penser aux Carmina Burana de Orff, les rapprochements à faire ne se limitent pas à cette seule composition : car de ci de là on entends aussi du Bach, du Händel, du Mozart, et même du Walton (dans l’exubérance des cuivres et des percussions). Mais avant tout, on entends du Stravinsky, quand même ! C’est percutant, expressif à souhait, ironique (la fanfare du messager), cela ne flatte pas seulement l’oreille par une approche somme toute facile, cela touche aussi l’intellect au plus profond. Et si le drame de Sophocle ne nous parle pas vraiment, la musique a elle seule nous suffit.
Décidément le jeune chef suédois ne cessera de nous surprendre ! (On se souviendra de son concert parisien dirigé en jeans !) Son affinité avec la musique de ce siècle est maintenant chose acquise, et celle avec l’univers stravinskien en tout premier plan. La pétulance des rythmes, la rigueur de la métrique, du phrasé (d’une grande importance ici, où le latin a été « arrangé » pour coller le plus possible à la musique), Salonen ne laisse rien au hasard ; et il nous donne ici une splendide leçon de ce que devrait toujours être la musique de Stravinsky : de la vie, et une perpétuelle réjouissance sonore.
Les solistes ne sont peut être pas toujours très judicieux : Cole aurait dû soigner son timbre, pas très juste ; Estes aurait dû un peu moins bougonner et plus tonner, Von Otter ... toujours un cas à elle seule, ici plus à l’aise qu’ailleurs. L’orchestre et surtout les choeurs (entièrement masculin), sont de tout premier plan, et c’est par la voix de cette turba que l’action avance, que la musique respire.
Une œuvre peu connue, qui gagne pourtant beaucoup à l’être, car elle peut à elle seule symboliser tout ce que Stravinsky peut offrir comme diversité.
Note : 17/20 Enregistrement : A
Voilà sans doute l’opéra qui sera considéré comme l’un des plus marquants du vingtième siècle, et le seul véritable ouvrage lyrique du compositeur. Ce qu’il faut néanmoins avouer, c’est que cet opéra est aussi une des choses les plus étranges qui ait été donnée d’entendre au public de ce siècle. A mi-chemin entre toutes les tendances : classique, baroque, romantique, dodécaphonisme (la terrible scène du jeu de cartes) ... et aucunes de toutes celles-là ! Par quel bout prendre cette composition ? Chacun choisit le morceau qui lui plaît, et vaille que vaille. En fait, l’opéra ne peut laisser personne insensible, et tout un chacun peut y trouver quelque chose pour le combler. Stravinsky aurait-il atteint l’universalité musicale ? N’exagérons pas quand même, mais il est vrai que l’œuvre a un côté réellement génial ! L’on y retrouve toute la malice de Stravinsky et tout son humour, dérisoire aussi. Mais l’on y découvre aussi un Stravinsky très tendre (ironiquement de temps à autres), et aussi d’une veine lyrique particulièrement intense (ironique aussi ?). Nonobstant, la musique est l’une des plus diversifiées de toutes la production du compositeur, et l’une des plus belles aussi.
Ce n’est vraiment pas dans ce répertoire que l’on attendait Sir John, et pourtant le brave anglais se défend aussi bien ici que dans ses autres fiefs. Il faut aussi admettre que Sir John est en bonne compagnie, pour ne pas dire excellente.
Tout d’abord son choeur, décidément l’un des meilleurs au monde, on ne saura que trop le répéter car cela est la pure vérité. Certes un peu « léger » pour un choeur, au niveau puissance j’entends, mais cela colle parfaitement à l’optique du chef. Car Gardiner a justement choisit « d’alléger » son interprétation de l’opéra. Alléger au sens des voix, en premier point, mais aussi au niveau de l’orchestre.
Le LSO se découvre là des talents cachés jusqu’ici, lui, grand amateur d’immenses fresques sonores, accepte que l’on coupe dans ses effectifs, et que l’on édulcore de manière ostensible sa grandeur habituelle. Du coup, l’orchestre gagne en agilité, en hardiesse aussi, il devient percutant, laissant éclater des cordes flamboyantes et surtout des vents radieux de précision et de présence. La percussion et les cuivres sont toujours là, mais plus en retrait, n’occupant comme à leur habitude le devant de la scène. Gardiner dirige le LSO comme il dirige son Orchestre Révolutionnaire ... avec verve, énergie, précision, mais là où cela change un peu, c’est que Gardiner ne « s’écoute » plus, il ne recherche plus ce beau son, recherche qui était si tangible dans ses autres enregistrements. Il laisse vivre la musique, la laisse respirer, et tant pis si quelques petites choses ne « sonnent » pas comme elle le devrait. En réalité, cette recherche du beau son, il la trouve dans le choix de ses solistes, tous issus plus ou moins de la culture baroque, ou s’y étant adonné à un moment ou un autre.
Deborah York est visiblement en danger permanent dans ses pages légèrement trop haute pour elle, mais elle croit en son rôle, et le reste va avec. La voix n’est pas vilaine, le ton non plus, mais l’on peut aisément l’oublier. Il en est de même de manière générale pour ton les seconds rôles, avec entre autre un Peter Bronder un brin coincé dans son rôle du commissaire-priseur , mais qui pourrait égaler Steven Cole avec Nagano ?
Anne Sofie Von Otter nous incarne une belle mégère en Baba la Turque, peut être un peu trop disciplinée, et assez peu convaincante au demeurant, économisant visiblement sa voix. Mais elle possède un certain aplomb, et le métier fait le reste, reste ses émules, bien entendu ... A qui décerne-t-on la palme ? Bostridge ou alors Terfel ? En fait, peut être ni l’un ni l’autre, mais les deux à la fois, une demi palme chacun.
Le timbre de Bostridge est mielleux à souhait, par moment un brin trop, s’abandonnant au consigne de « bon son » du chef ? Cela n’est pas impossible, car la voix est d’une beauté envoûtante, et son Tom Rakewell se berce aisément de toutes les illusions auxquelles il est confronté. Paradoxalement, son incarnation semble un brin désincarné, comme si sur l’ensemble de l’ouvrage planait l’ultime scène, celle de l’hôpital psychiatrique, conscient dès le commencement de sa folie à venir ... En cela, Bryn Terfel partage les mêmes sentiments, ce n’est pas un diable démoniaque, mais un diable malicieux. L’aboutissement lui semble être acquis, et ce n’est plus qu’un jeu qui se déroule le long de l’ouvrage. Et dans cet ultime jeu, cette partie de carte qu’il croyait être fatal à Tom, l’on sent que sa défaite n’est rien d’autre qu’une victoire. Comme pour Bostridge, le timbre et l’aplomb de Terfel sont remarquables, jouant sur les moindres nuances de son registre.
Pris séparément, les numéros semblent être un brin lassant, un brin complaisant, un brin « vieillot », et pourtant, c’est dans la vision d’ensemble que la vision du chef paraît clairement, et convainc sans appel. Une excellente réalisation, aboutie, et agréablement desservie.
Note : 17/20 Enregistrement : A
Dans le panorama musical anglais, et de manière plus générale européen, Walton incarne à lui seul tout ce que le mot « pompe » peut signifier. Digne héritier d’une longue tradition anglaise de compositeurs de circonstance, initié avec Händel, en passant par Sir Edward Elgar, et « metteur en musique » du couronnement de la reine Elisabeth II, Walton est le Cécil B. De Mille du XX° siècle musical et le John Williams avant l’heure des plus belles fresques cinématographiques (Hamlet entre autre). Sa musique, luxueuse à outrance, le fait souvent juger comme un compositeur facile, ce qu’il n’est en rien, et la seule mise en place de ce qui restera l’œuvre symbole parmi toutes ses compositions : Belshazzar’s Feast (thème déjà mis en musique par Händel) en mesure toute la complexité.
C’est grandiose, déroutant, babylonien ... Faisant appel à un instrumentarium gargantuesque : deux orchestres et une belle collection de percussions, l’œuvre symbolise à elle seule ce qu’a put être l’exubérance de l’ère victorienne (époque à laquelle la reine ne voulait pas entendre le Messie joué par moins de trois cent instrumentistes et autant de choristes !). D’une puissance inconcevable, sa mise en œuvre en concert requiert de solides tympans, et un sens tout particulier de la spatialisation sonore, mais la jouissance est extrême.
Ce qu’il y a de difficile avec cette musique, c’est de réussir de transcrire une telle œuvre, si profondément vivante, sur le disque. Il y a naturellement tout le travail du preneur de son, du choix de la salle pour une acoustique homogène et ample, mais aussi, et là c’est le travail du chef, d’une correcte spatialisation des intervenants : orchestre et choeurs, qui se partagent l’essentiel des numéros.
Si le choix de Bryn Terfel pour assurer les numéros était particulièrement bien venu (la basse en est d’ailleurs à son troisième enregistrement de l’œuvre), les autres choix du chef sont assez discutables. Dans l’ensemble, les tempos ne sont pas toujours très allant, Litton préférant tiré l’œuvre du côté du drame, plutôt que de celui, peut être plus facile, mais tout aussi justifié, de l’œuvre Technicolor. L’ensemble est plutôt bien placé, malgré une prise de son peu flatteuse, et une largesse excessive (mais impressionnant rendu de la grosse caisse). Les choeurs sont d’un entrain tout particulier qui fait oublier quelques approximations de ci de là. L’orchestre, en dehors des éléments les plus sonores par nature (cuivres et percussions), est relativement noyé dans la masse ; ce qui a pour effet de donner une certaine pâte sonore qui n’est pas tout à fait désagréable ma foi.
On pourra regretter quelques baisses de tension de temps à autre, et une agressivité un peu feinte de la part du chef dans certains passages, mais dans l’ensemble le rendu est assez bon et le final reste tout particulièrement vivifiant (avec un splendide climax final).
Note : 17/20 Enregistrement : B
L’œuvre fut donné dans le cadre des Proms, et de manière assez attendue, le chef anglais préfère le côté strass et paillettes de l’ouvrage à tout autre. Si la direction de Davies est animée, et riche en couleur, les troupes mises à son service ne répondent pas toujours de la meilleures de manières.
Si la prise de son est relativement proche, et par cela flatteuse, on se rend immédiatement compte que la « masse » nécessaire n’est pas là, et que le tout est somme toute assez léger. Les choeurs n’ont pas le punch de leur compatriote cité plus haut, mais ils ont tout autant de cœur à l’ouvrage, le nombre en moins, ils réussissent quasi même travail. L’orchestre sonne mieux ici, essentiellement pour des raisons de prise de son, et l’on peut ainsi goûter à toutes les subtilités de l’orchestration waltonienne.
Dans l’ensemble, cette interprétation respire un tonus tout à fait à propos, et une grande homogénéité ; on regrettera juste ce manque d’ampleur et d’emphase que l’on aime à trouver ici.
Note : 17/20 Enregistrement : A-
L’œuvre ne ressemble guère à ce que Sir Walton nous réservait d’ordinaire. Assez éclectique, elle est à rapprocher des deux symphonies, tout en conservant un caractère extrêmement sensible et délicat. On ne retrouve pas toujours ici le caractère si « Waltonien » de nombreuses autres oeuvres (extravagance des sonorités et des timbres, grandeur du verbe), mais l’on se laisse captiver par les multiples méandres de cette musique qui semble se renouveler à chaque écoute.
L’œuvre demande de la part de son soliste du brio, sieur Hugh en possède, mais l’instrument dont il use ne semble guère être en accord avec son talent, tant la sonorité semble pauvre et vide dans le registre de base (alors que les parties aiguës sonnent fort bien). La direction de Paul Daniel nous montre une nouvelle fois les affinités du chef avec cette musique si anglaise par essence. Tout en nuances, Daniel nous fait découvrir un panorama musical fait entier d’homochromie, qui tel un caméléon change de visage dès que l’on se laisse distancer.
La phalange orchestral ne peut sans doute pas concurrencer des grands ensembles mais elle donne le meilleur d’elle même, ce qui ma foi est déjà des plus respectables.
Tout cela est fort talentueux, mais le beau son, la véritable magie, et toute la sensibilité aussi, que cette musique dégage ne s’exprime malheureusement pas totalement ici. Vraiment dommage, car tout y contribuait, ou presque.
Note : 13/20 Enregistrement : B
L’œuvre peut se rapprocher, aussi bien par sa forme que par son ton, du concerto pour Violoncelle du même compositeur. L’ouvrage a un caractère assez intimiste, marque de fabrique semblerait-il être de toutes les pages concertantes que Walton a pu écrire (ceci incluant certains passages de ses symphonies), qui tranche avec la jubilation ordinaire à la majorité de ses compositions orchestrales. Mais intimiste ne signifie pas dénué de difficulté, car le violoniste se doit d’être un excellent soliste (le concerto fut écrit pour Jascha Heifetz) doublé d’un formidable virtuose, tant les pages sont brillantes d’écriture.
La direction de Daniel est sûre et aguerrie, les oeuvres de Walton semblent être terrain de prédilection du chef anglais, et il mène son orchestre avec une verve et une précision certaine. Un orchestre aux multiples couleurs, et non dénué de qualités, et dont on saluera la malléabilité.
Il en va de même pour le soliste, dont on ne pourra que saluer la prestance et l’agilité dans des pages de hautes voltiges ; mais à qui l’on pourra reprocher un violon un peu strident dans les aigus, mais fort diligent ailleurs.
On touche un peu la magie waltonienne, mais il y manque un tout petit zeste de rêverie.
Note : 14/20 Enregistrement : B (Orchestre en retrait)
Walton écrivit de nombreuses musiques de films, celles qui sont restés les plus vivantes à l’esprit des auditeurs demeurent néanmoins les ouvrages composés à l’occasion des adaptations shakespeariennes dont ce Richard III fait partie. La musique, comme souvent chez le maître anglais, est d’une richesse exubérante, grandiose, mais aussi d’une grande douceur, et d’une originalité jusque là peu rencontrée : les soli d’orgue et de clavecin (oui, oui, un clavecin) sont pur chef d’œuvre.
Marriner est un touche à tout, on le sait depuis longtemps, mais il reste avant tout un fervent défenseur de la musique anglaise, de Händel à Walton en passant par Britten, et donc ce n’est pas une surprise que de le voir ici. Le bougre se défend d’ailleurs le plus honorablement du monde, tout son art de la direction et son sens quasi innée du phrasé nous permettant, nous, simples mortels, de toucher au plus exquis des divertissements.
Il faut dire que la phalange de l’académie de St Martin est aussi l’une des plus belle de l’île, des cuivres mordants (et jamais criards comme on pourrait par trop facilement le craindre), une percussion vive et nette, des bois admirables de délicatesse, seules les cordes semblent un peu pêcher par manque de douceur. Seule ombre, Gielguld, narrateur à la voix flétrie, à la prononciation incertain, et au ton pas très avenant, à remplacer.
Par contre, chapeau bas aux claviers volubiles de Ian Watson, délice parmi ce festin. Un très bel enregistrement, même si tout n’est pas à retenir dans cette musique qui se veut, comme toujours chez Walton, des plus visuelles.
Note : 16/20 Enregistrement : A
On le connaît surtout pour ses oeuvres sur des textes de Berthold Brecht, dont le célèbre « Opéra de Quat’Sous » d’après « A Beggar’s Opera » de J. Gay & Peppush. L’on oublie que celui qui fut l’un des symboles du Berlin des années trente (avec son épouse Lotte Lenya) fut aussi l’un des grand « major » du musical à Broadway aux côtés de Rodgers.
1) Street Scene
L’ouvrage est en fait un hybride : amalgame du musical et de l’opéra lyrique habituel, musicalement porté vers le premier, dramatiquement soutenu par le second. Car si la musique se veut dans l’ensemble légère et typique de Broadway, la trame de l’opéra est un vrai drame, finissant dans un bain de sang. C’est là le génie de Weill, savoir conjuguer tous les genres pour ne les fondre qu’en un seul. Les intervenants sont pléthores, et chacun ajoute une touche locale à ces scènes de rues, l’ouvrage se termine comme il a débuté, rien n’a changé, et pourtant tout est différent.
Impossible de citer tous les intervenants (plus d’une vingtaine !) bien qu’ils soient tous des plus méritoires. John Mauceri, grand connaisseur des musicals, on se souvient des Gershwin qu’il a ressuscité, a réunit une splendide équipe, une belle troupe, pour nous offrir ce qui est une interprétation en or.
Des principaux protagonistes, retenons Joséphine Barstow, qui nous avait ravi dans une Gloriana de Britten très aristocratique, ici un peu au dessus de ces moyens (aigus à l’arraché) mais des plus convaincante par ailleurs. Heureuse redécouverte de répertoire pour Samuel Ramey, moyen dans le « On the Town » de L. Bernstein, mais ici en tout point impeccable. Jerry Hadley est aussi un habitué des musicals (on se souvient entre autre d’un Candide de Bernstein enthousiasmant) et sa place ici semble être acquise, même si les aigus sont toujours aussi peu assurés et esquivés par une voix de tête peut être pas des plus bienvenues. Pour la myriade de rôles secondaires, saluons en premier les enfants : diction claire, fort dans le ton et dans l’esprit de l’ouvrage, ils méritent le titre de petits anges ici (à défaut de le mériter ailleurs). Ensuite, dans le désordre : Kurt Ollmann au baryton toujours moelleux, les deux nounous Arleen Auger et Della Jones, pestes à souhait, et Barbara Bonney délicieuse, sans oublier le regretter Ben Holt.
Mauceri, qui s’est accordé un petit rôle fort bien chanté d’ailleurs, insuffle à l’œuvre la parfaite mesure qui lui est nécessaire pour rester à mi-chemin entre les deux voies tracées par Weill, le résultat est consternant de vérité. L’orchestre n’est peut être pas celui que l’on peut espérer pour du « grand opéra », mais son interprétation ici est idéale.
Une belle interprétation d’une belle œuvre, que demander de plus ?
Note : 17/20 Enregistrement : A